Humains néanmoins

Je veux poursuivre ma vie (16/17)

Liberté s'en allait. Elle avait pris sa décision si vite, que cela ressemblait à un coup de tête. Mais Loïc savait que c'était bien plus que ça, et qu'il ne serait pas possible de la faire changer d'avis. Il le savait, même s'il ne comprenait pas, et trouvait sa réaction complètement démesurée. Il savait qu'il n'était pas possible de la faire changer d'avis, mais il essaya quand même :

« Reste ! Je t'en prie Liberté, reste ! Pardonne-moi.

– Te pardonner ? Ce n'est tellement pas la question. Je vais étouffer, c'est tout, je le sais. Et tu ne peux rien y faire. Je ne vais plus supporter ta façon de me regarder, et tu ne peux rien y faire.

– Si, je peux y faire quelque chose. Toujours, on peut toujours faire quelque chose. Ce n'est pas ce que tu dis ? Qu'on est libres ?

– Si, on est libres. Mais pas toi. Et pas moi, pas avec toi, pas ici ! On n'est pas libres ici. Tu t'enfermes dans une liste de traits, tu m'enfermes dans une liste de traits. Vous vous enfermez tous dans de satanées liste de traits ! Vous ne réalisez pas que vous êtes libres, alors vous ne l'êtes pas. Et moi, j'ai besoin d'être libre.

– C'est si important que ça ? Peut-être que tu n'as pas besoin d'être libre d'adopter n'importe quel trait de caractère, d'être successivement plusieurs personnes différentes, ou je ne sais trop quoi. Peut-être que tu as juste besoin d'être toi.

– Mais c'est ça être moi ! C'est être libre ; être quelqu'un aujourd'hui et quelqu'un d'autre demain. C'est ça être humain ! Je ne peux pas rester enfermer dans une vie stérile. Je vais dépérir, passer à côté de tout, faire un tel gâchis. Chaque seconde que je passe ici est une seconde de perdue.

– Comment tu peux dire ça ? Tu dis ça juste pour me blesser. Tu sais que ce n'est pas vrai. Tu sais que Chesna avait des choses à t'apporter, et qu'elle en a toujours.

– Oui, tu as raison, c'est vrai. Observer Chesna m'a apporté des choses. Mais vivre ici, non. La vie ici n'est rien. C'est juste copie et répétition. Copier les autres, copier les normes, copier le passé. C'est stérile. Ça ne crée rien, ça ne vit pas. J'ai besoin de poursuivre ma vie. C'était une pause. Une pause profitable certes, mais une pause néanmoins. Une pause pour réfléchir, regarder le monde, penser à la vie. Une pause. Maintenant il est temps de retourner à la vie.

– Je t'empêche de vivre ?

– Oui, c'est ce que je viens de dire. Pourquoi tu as besoin que je le répète ? Mais tu ne m'empêcheras pas de vivre, parce que je vais partir. Je pars, parce que je veux vivre. Je veux vivre ma vie le plus pleinement possible. Ce qui est triste, c'est que t'empêches toi de vivre. Ce qui est triste, c'est que tu empêcheras tes enfants de vivre. Ce qui est triste, c'est que Chesna vous empêche de vivre. Et ce qui est vraiment triste, c'est que vous ne vous en rendez même pas compte. Et que vous serez toujours incapables de vous en rendre compte.

– Et toi tu te rends compte que ce que tu dis n'a aucun sens ? Tu y crois vraiment ? Tu crois qu'on ne vit pas ? Tu crois que la vie ce n'est pas ça ? Peut-être que chacun peut définir la vie à sa façon. Peut-être que ce que nous entendons par la vie a autant de valeur que ce que toi tu entends par là.

– Oui, peut-être. Mais en définissant la vie ainsi, vous l'appauvrissez.

– Et vous, à Dievex, vous allez la détruire et la vider de tout sens.

– A moins qu'elle n'en ait jamais eue et que nous ne soyons les seuls à essayer de lui en donner.

– Peut-être que c'est parce que vous avez toujours été incapables de voir le sens qu'elle a toujours eu que vous en jugez ainsi. Peut-être que c'est pour ça aussi que vous le détruisez ainsi.

– Et peut-être que j'en ai assez d'avoir toujours les mêmes débats sans que jamais ça ne mène à rien. Nos disputes sont aussi stériles que la vie chez vous.

– Mais moins que les gens chez vous.

– Tu trouves ça drôle ?

– Non. Je trouve ça triste. »