Génétique (Loïc)

132 31 8
                                    



Diaboliser la génétique, c'est mal la connaître. Tout n'est pas si simple qu'il semble. Jolie série série de mots sur nos berceaux. Choisis par nos parents sur catalogues. Ce choix si crucial qui n'est pourtant qu'une première étape. Ce choix qui leur semble si complexe et qui pourtant est bien plus simple que le travail que nous autres généticiens devons réaliser pour faire de lui une réalité.

On dit aux futurs parents que telle ou telle combinaison génétique est impossible à obtenir. En vérité, c'est bien plus compliqué que ça. Maintenant que je travaille dans un laboratoire, je le sais. Mais la plupart des gens ne le savent pas. C'est bien trop compliqué pour eux. Peu leur importe de connaître les subtilités des préparations génétiques qui ont lieu ici. Tout ce qu'ils ont besoin de savoir, c'est la liste des caractéristiques de leur enfant. Alors, on leur facilite le boulot, on simplifie. On dit que l'ambition et la bienveillance sont incompatibles, et on les laisse choisir une combinaison de ces deux facteurs parmi la liste des possibles. Ils n'ont pas idée de la complexité impliquée pour arriver ensuite à une combinaison de facteurs génétiques donnant peu ou prou les résultats qu'ils souhaitent.

Que notre travail serait simple si à chaque trait de personnalité correspondait un gène ! Mais ce n'est jamais le cas. Jamais. On joue sur les gènes correspondant à telle ou telle tendance, telle ou telle réactivité à tel ou tel type de stimuli, tel ou tel combinaison hormonale, et toutes ces petites choses qui influenceront la personnalité. Toutes ces petites choses qui font de nous ce que nous sommes. Mais qui semblent bien trop insignifiantes pour déterminer des êtres humains. Quel parent voudrait décrire son enfant par ses facteurs infimes ? Ils aiment les traits de personnalité, leur niveau de généralité, le sens qu'ils peuvent avoir, la valeur sociale qu'on leur accorde : alors on mélange les facteurs, on cherche, et à l'issue de décennies de tests on sait à peu près comment faire pour produire des enfants qu'ils aimeront.

Et puis, la plupart des parents ne sont pas exigeants au point de vouloir choisir chaque trait. Enfin, ils le seraient probablement, s'ils n'avaient pas cette envie d'immortalité qui les pousse à vouloir transmettre leurs propres gènes. Ils ne veulent pas seulement que les enfants aient les mêmes traits qu'eux, ils veulent aussi qu'ils soient issus de leurs propres gamètes. Alors on sélectionne, on prédit le résultat de chaque mélange, on choisit le plus proche du résultat qu'ils souhaitent, on effectue quelques modifications, et le tour est joué. Il paraît que dans les premières générations les procès de parents n'ayant pas l'enfant souhaité étaient nombreux. Mais ils sont rares aujourd'hui ; probablement car nos techniques sont suffisamment perfectionnées.

Chaque Chesnaien sait qui il est. On dit que chacun connait ses gènes, mais ce n'est pas tout à fait la vérité. C'est juste une simplification. Ils pourraient connaître leurs gènes bien sûr ; mais ils seraient incapables de décrypter le message qu'ils contiennent. Alors nous traduisons pour eux, dans les mots du vocabulaire que nous connaissons tous. La génétique nous dit qui nous sommes, ou qui nous seront. Des couples nous disent qui ils veulent que leurs enfants soient, et nous les créons.

Les gens ont besoin de se comprendre eux-mêmes et de se comprendre les uns les autres. La connaissance du patrimoine génétique des êtres permet cela. Grâce à nous, chacun se comprend mieux, et chacun comprend mieux les autres. Il semble inconcevable de partir dans la vie sans savoir qui nous sommes, quelles sont nos dispositions, nos tendances, quelles seront nos facilités et nos difficultés, nos attractions et nos répulsions. Partir dans la vie les yeux bandés, quand nous avons à notre disposition les moyens de couper ce bandeau. La génétique n'a rien de diabolique : elle est un éclairage sur une réalité qui de toute façon existe déjà. Une réalité que nous traduisons pour permettre à chacun d'y avoir accès. Car nous n'avons pas le droit de priver des êtres d'une vérité qui les concerne.

Humains néanmoinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant