J'aurais voulu que ce soit possible (13/17)

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Loïc s'en voulait. Liberté semblait aller bien ; trop bien. Depuis qu'elle avait l'assurance qu'ils n'attendaient pas d'enfant, il ne l'avait pas entendue formuler une seule plainte, une seule crainte, une seule remarque. Elle ne partageait plus avec lui ses pensées au sujet de Chesna, ses observations de la vie, ses souhaits pour une réalité alternative. Cela ne ressemblait pas à Liberté. Elle partageait toujours le quotidien de Loïc, souriait, riait, admirait les oiseaux et appréciait la nourriture, mais il n'y avait plus rien d'autre. Leur relation était devenue vide. Et Loïc savait que c'était de sa faute de la suite. Il n'avait pas réalisé à temps certaines choses. Il n'avait pas été capable de comprendre Liberté, de voir ce qui était pourtant une évidence : elle aurait voulu plus. Peut-être pas nécessairement cet enfant, mais quelque chose de plus entre lui et elle, quelque chose de plus qu'une relation sans avenir. Loïc avait toujours su, que, quoi qu'ils puissent éprouver l'un et l'autre, ils ne pourraient jamais avoir une véritable relation. Il avait voulu être avec elle, mais toujours su que ça ne durerait pas. Ça n'en aurait pas pour autant forcément fait une erreur, ou quelque chose sans valeur, mais ça n'aurait pas été durable, complet, réel ; jamais vraiment de l'amour. C'était si évident pour lui, la seule façon possible de voir les choses, d'envisager ce qui se passait entre eux. Mais il réalisait à présent, que, pour elle, c'était loin d'être une pareille évidence. Il devait lui présenter des excuses :

« Liberté, tu m'en veux ?

– Pourquoi je t'en voudrais ?

– Je t'ai blessée ?

– Non. Pourquoi tu m'aurais blessée ?

– Ce que j'ai dit... Qu'on n'avait pas d'avenir, qu'on serait malheureux, tout ça. Tu sais que ce n'est pas contre toi. Tu sais que je t'apprécie. Tu sais que notre relation compte pour moi. C'est juste que c'est...

– La vérité ?

– Oui, c'est juste la vérité. Aussi déplaisante qu'elle soit. Aussi peu romantique qu'elle soit. Juste la vérité. Tu le sais aussi bien que moi.

– Oui c'est la vérité ! Oui je sais que ça l'est ! Non ça ne m'a pas blessée, et oui je sais que ce n'est pas contre moi. C'est juste la vérité... ta vérité... ta perception. Et t'as bien fait de me le dire vu que c'est ta vérité. C'est juste que je trouve ça dommage que ce soit la vérité. Et le truc c'est que...

– Que quoi ?

– Que c'est de ta faute, Loïc. C'est de ta faute que ce soit la vérité.

– Comment ça ? C'est n'importe quoi. Ce n'est pas de ma faute. Crois-moi, j'aurais voulu que les choses soient différentes. J'aurais voulu que ce soit possible. J'aurais voulu qu'on puisse s'aimer.

– Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas grave, je ne t'en veux pas, c'est ton droit. Mais ne mens pas, ne me dis pas que tu l'aurais voulu. Je sais que tu le crois, mais c'est faux. Parce que si c'était vraiment ce que tu avais voulu, ça aurait été possible. On aurait trouvé un moyen. Mais tu es incapable de le voir. Il y a trop de choses que tu es incapable de voir. Et toi tu crois que la vie nous condamne à être séparés. Moi, je sais que c'est toi qui nous y condamne. Mais ce n'est pas grave. C'est ton droit. C'est ton choix. Et c'est juste humain en un sens. Mais c'est bête aussi. Oui, très humain en somme. A ta façon. A votre façon.

– Ça n'a aucun sens, ce que tu racontes. On est juste trop différents, ce n'est pas de ma faute. Nos façons de penser ne pourront jamais coller, et tu le sais aussi bien que moi. On vient de deux mondes différents, et ce sont eux qui nous séparent. Par ce qu'ils ont fait de nous.

– Sauf que voilà, on est trop différents tu dis. Trop, c'est toi qui le trouve. Et compte tenu de ça, tu ne veux pas. Tu ne veux pas qu'on soit ensemble, qu'on cherche à construire quelque chose, vu que tu trouves que nos différences rendent ça impossible. Alors que moi, j'aime nos différences.

– Donc tu m'en veux.

– Arrête de demander ça. Je ne t'en veux pas, je te l'ai dit mille fois. Oui, j'estime que c'est de ta faute. Mais non je ne t'en veux pas. Tu n'as rien fait de mal. Tu as juste fait un choix. Et c'était ton droit. Parce que, même si tu as du mal à le reconnaître, tu es un être libre. Tu es responsable. Mais je ne t'en veux pas. Parce que tu as le droit de choisir la vie que tu veux mener, la personne que tu veux être. Tu ne me dois rien. Et tu ne m'as jamais rien promis, rien laissé espérer. Je savais. Je le savais. Au fond je le savais. Et j'ai voulu ça quand même ; c'était mon choix. Tu n'es pas à blâmer. Et tout va bien, on ira bien. Séparément. Même si j'aurais préféré autre chose.

– Donc tu m'en veux.

– Non je ne t'en veux pas ! Bon sang ! Comment tu peux ne pas comprendre ?

– Parce que nos façons de penser sont trop différentes ?

– Probablement. »

Humains néanmoinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant