Attirance (Loïc)

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Je ne sais pas pourquoi Liberté m'attirait autant. Certes, nous avons au fil des générations déjoué l'évolution et l'attirance a maintenant moins à voir qu'avant avec le potentiel de fécondité que nous voyons en l'autre. Les hommes sont attirés par les femmes et les femmes par les hommes : c'est tout ce qui importe vu que, grâce aux progrès de la médecine, tous les Chesnaiens sont féconds. Ensuite, c'est l'amour qui entre en ligne de compte et fait la différence. L'amour qui va dépendre de notre personnalité. Nos gènes déterminent dans une certaine mesure l'importance que nous accorderons à l'amour et les valeurs que nous privilégieront. Mais il n'y a pas de gène spécifique qui détermine le type de personne sur qui se portera notre amour. L'amour arrive naturellement ; il est le fruit de tout ce que nous sommes et de ce qu'éveille en nous tout ce qu'est la personne en face.

Et Liberté était quelque chose, assurément. Je ne sais pas si j'aurais pu l'aimer. Je ne crois pas. Je n'aurais pas voulu qu'elle soit la mère de mes enfants. Elle ne représentait pas ce que je souhaitais pour l'humanité de demain. Elle était juste quelque chose de différent. Et peut-être que la différence a en elle-même quelque chose de fondamentalement attirant. Briser la monotonie, découvrir, comprendre, expérimenter. Je voulais comprendre Liberté ; mais je crois que ce désir de compréhension est ce qui m'a poussé à regarder ces gènes plus que ce qui m'a donné envie de l'accueillir dans mon lit. Ce désir là n'était pas un désir de mieux la comprendre. Il était peut-être un désir de me prouver que nous n'étions pas si différents, qu'un lien était possible, que l'humanité n'était pas pour toujours brisée en deux parties irréconciliables. Au moment où nous étions ensemble, j'ai eu la conviction inébranlable que nous étions de la même espèce. Mais peut-être après tout que ce n'est pas le cas, malgré cette sensation. Peut-être que nous ne sommes plus une seule et même espèce, et que c'est pour ça qu'elle n'est pas tombée enceinte. Peut-être que nos gamètes sont incompatibles. Ou peut-être que nous avons juste eu de la chance. Parce qu'incompatibles, elle et moi l'étions assurément.

Peut-être que Liberté n'a pas tout à fait tort quand elle dit que toutes les Chesnaiennes se ressemblent. Et peut-être qu'elle était plus unique que n'importe laquelle d'entre elles. Peut-être que ça la rendait plus attrayante. Elle était comme la promesse de quelque chose de différent. La différence qui est une des valeurs de Dievex, mais pas nécessairement une des miennes. Il n'empêche qu'elle est tentante, la différence. Une tentation dans laquelle les Dievexois sont tombées, ce qui aura marqué le début de leur déchéance. Une tentation qui m'a tenté moi aussi. Liberté était une tentation. La tentation de la liberté peut-être. La tentation de la différence. La tentation de Dievex en somme. La tentation de leur chaos. Et je suis heureux de ne pas avoir sombré dans cette tentation. Même si je n'ai aucun mérite. Quand on y pense, c'est ma curiosité qui m'a sauvé. Cette curiosité qui a poussé Liberté à fuir loin de moi. Mais, il faut bien reconnaître que c'est d'abord le hasard qui m'a sauvé. Car, si Liberté était tombée enceinte, je ne sais pas ce qu'il serait advenu de moi, ni de nous.

Peut-être que Laurène n'est pas si unique que Liberté l'était ; mais je ne l'en aime que plus. Elle n'est pas une curiosité de la nature ; mais elle est l'humanité telle que je la conçois. Elle est à l'image de l'humanité dont je fais partie et que je souhaite voire perdurer. Et avoir un enfant qui lui ressemble en partie serait un pur bonheur. C'est pour ça que je suis tombé amoureux d'elle, que j'ai ressenti cette envie et ce besoin de construire avec elle quelque chose de durable. La tendresse et l'attachement que je ressens pour Laurène, l'estime que j'ai pour elle, l'approbation que j'ai de chacune de ses opinions, font que je sais que nous vivrons heureux ensemble et que notre enfant sera heureux de nous avoir pour parents. Nous nous aimons. Notre couple n'a peut-être rien d'original, rien de fascinant, ou même rien d'intéressant. Mais il n'en est pas moins beau. Et il n'en est que plus fort.

Humains néanmoinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant