Mariage (Liberté)

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Ma mère et mon beau-père ne se sont jamais mariés. Ils s'aimaient, mais pas d'une façon qui leur fasse penser qu'ils voudraient forcément rester ensemble toute la vie. Ils étaient trop lucides pour penser que ce serait le cas. Et ils avaient raison ; vu qu'ils ont fini par se séparer quand j'ai eu quatorze ans. Mon beau-père est arrivé dans la vie de ma mère quand j'avais tout juste trois mois. Et, ça m'embête de devoir l'appeler mon beau-père, parce qu'à mes yeux c'est mon père. Et quand tous les deux se sont séparés, il a continué de faire partie de ma vie. Parce qu'il m'aimait et que ma mère comprenait bien à quel point il était important pour moi. S'il n'avait jamais fait partie de ma vie, je n'aurais pas eu besoin d'un père : mais il a été là, je me suis attachée à lui, il s'est attaché à moi, et c'est donc mon père. Il a été mon parent exactement au même titre que ma mère. Alors, oui, c'est dommage que légalement il ne soit pas mon père ; qu'il ne puisse pas m'adopter.

Mais le système dievexois a du sens malgré tout. Ma mère a pris la responsabilité de m'avoir ; c'était son choix à elle. Mon beau-père est juste tombé amoureux d'elle. Puis il est devenu mon père. Mais, légalement, il ne pouvait pas être mon père sans épouser ma mère. C'était rationnel comme interdiction : parce que ça m'aurait déchirée quand ils se seraient séparés, de perdre mon père ou de devoir m'en séparer ne serait-ce qu'à moitié. Sauf que ça m'a déchirée de toute manière ! Sauf que c'était mon père de toute manière, quoi qu'en dise le gouvernement ! La loi n'y peut rien. Elle ne peut pas nous dire de ne pas nous attacher. Et je trouve ça bête que la loi ne fasse pas de lui mon père alors que si ma mère s'était mariée plus tard, par exemple à mes dix-sept and, l'homme qu'elle aurait alors épousé serait lui automatiquement devenu mon père, du seul fait de son mariage. Ça n'a aucun sens vu qu'il ne m'aurait pas élevée. Mon beau-père n'était peut-être pas marié à ma mère ; mais il m'a élevée et c'est ça qui compte.

Nos parents sont ceux qui nous élèvent. Mais, c'est vrai que parfois il y a des abandons ou des changements de couples, qui font que c'est dur de fixer l'âge à partir duquel on ne peut pas dire que la personne nous a élevés. Peut-être que les enfants devraient pouvoir déterminer eux-mêmes qui sont leurs parents ? Ou peut-être qu'on s'en fiche. On s'en fiche des mots écrits sur les papiers officiels, tant qu'on est libres de faire les choix que l'on veut. Peu importe qu'il ne soit pas officiellement mon père, tant que ma mère me laisse le voir autant que je veux.

Ce qui fait de nous des parents, ce n'est pas d'avoir pris la décision d'aller jusqu'au centre demander un enfant et de l'avoir attendu plusieurs mois. Ce qui fait de nous des parents, c'est d'aimer et d'élever nos enfants. Et, si je me marie un jour, mon mari et moi serons parents ensemble, forcément. C'est le sens du mariage aussi. Le système n'est pas si mal fait. Être parent, c'est un engagement pour la vie. Le mariage aussi. A Dievex du moins. Si on se marie, on peut avoir des enfants ensemble. Et c'est très beau de vivre la vie et la parentalité à deux. Mais être parent c'est beau de toute manière ; et je ne vais pas passer encore quinze ans à attendre le prince charmant en me privant entre temps de donner l'amour parental que j'ai à donner. Alors je suis heureuse de vivre dans un monde qui me donne le droit d'aller faire une demande d'enfant dès que je souhaiterais me lancer dans cette phase de ma vie. Alors qu'à Chesna j'aurais dû me caser avec le premier venu (ou le deuxième, ou le troisième), pour pouvoir faire un enfant.

Humains néanmoinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant