Je veux porter un enfant (7/17)

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Liberté était assise en face de Loïc à la table du petit-déjeuner, une brioche dans une main et une tasse de café dans l'autre. Elle ne mangeait pas, ne buvait pas. Elle pensait. Loïc la regardait et n'arrivait pas à deviner ce à quoi elle pouvait bien réfléchir. Il attendait. Il la connaissait ; elle allait se mettre à parler. Et c'est ce qui arriva :

« Et si j'étais enceinte ?

– Mais qu'est-ce que tu racontes Liberté ? Tu as peur d'être enceinte ? Mais enfin tu... Tu n'es avec personne à Chesna. Je ne comprends pas. Comment tu pourrais tomber enceinte ? Il y a quelque chose que je ne sais pas ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Et comment ça a pu arriver ? Tu ne prends pas de contraception ?

– N'importe quoi ! Déstresse Loïc ! Je n'ai rien fait, avec personne, jamais. Tu le sais bien. Et non je prends pas de contraception ; ça n'existe pas chez nous. Et je n'en ai pas besoin. Je voulais juste dire que, si j'étais enceinte, as forcément maintenant, mais un jour, bientôt ou dans longtemps, peu importe, si j'étais enceinte, ce ne serait peut-être pas si terrible que ça.

– Bien sûr que ce n'est pas terrible d'être enceinte ! C'est la plus belle chose qui soit !

– C'est ce qu'elles disent toutes. Ici. Mais seulement ici. A Dievex ils disenCt l'inverse. Mais ils ne savent pas ce que c'est. En même temps, les Chesnaiennes ne sont pas forcément plus objectives. Justement parce qu'elles l'ont vécu ; elles doivent forcément trouver une façon de voir les choses qui leur permette de supporter ça en y voyant une chose positive. Mais, quand-même, je me demande s'il n'y a pas une part de vérité dans ce qu'elles disent. Et des fois j'ai presque envie d'être enceinte : juste pour savoir, pour me faire mon propre avis.

– On ne porte pas un enfant juste pour savoir ce que ça fait ! On choisit d'être enceinte parce qu'on veut un enfant !

– Mais je veux un enfant ! Tu le sais bien ! J'en aurais adopté un si ta fichue Chesna m'avait laissée. Et je compte bien en adopter à Dievex dès que je pourrais. C'est juste que je me demande si, quand même, ça n'apporterait pas quelque chose de plus, de le porter en soi.

– Bien sûr que si ! Bien sûr que ça apporte quelque chose de plus ! Comment tu peux ne pas voir que Dievex est une société oppressive au possible ! Comment tu peux ne pas réaliser qu'ils vous retirent des droits fondamentaux et que c'est tout simplement inadmissible ? Comment tu peux ne pas voir que tu vis dans un monde qui est juste parti beaucoup beaucoup trop loin dans son délire ?

– Ce n'est pas un délire ! C'est mon monde, mes valeurs, mon humanité. Ce n'est pas parce que je remets des choses en questions et que je reconnais que quelques points sont améliorables que je te permets de critiquer ainsi Dievex ! On n'est pas des fous ! Tout a du sens ! Tellement de sens ! Nos choix ont des raisons.

– Mais vous avez aussi des angles morts. Et tu le vois bien. Regarde ton ventre. Tu crois qu'il n'est pas fait pour porter un enfant ? Tu crois que ce n'est pas d'un ventre comme celui-ci que tu aurais dû venir toi aussi ? Tu ne ressens pas en toi cette envie de participer de manière complète au cercle de la vie ?

– Non. Bien sûr que non ! L'envie que je ne ressens, ce n'est pas ça. Ce n'est pas une nécessité biologique, une essence humaine qui parlerait à travers moi ou je ne sais quoi. C'est juste un choix. Juste, j'aimerais avoir le choix. Et pouvoir porter un enfant si j'ai envie, parce que j'ai envie. Ça ne devrait pas être le seul moyen de mettre des humains au monde. On ne devrait pas être obligés d'en passer par là. Mais on devrait peut-être quand même pouvoir. Si on veut ; juste si on veut.

– Et tu veux.

– Je voudrais. Peut-être. Ouais, je crois que je voudrais ; que j'aimerais bien. Mais ça ne change rien. De toute façon je ne pourrais pas.

– Regarde les choses en face, Liberté. Ils ont beau dire, tu n'es pas libre. Aucun de vous ne l'est.

– Aucun de vous non plus. »

Humains néanmoinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant