Je veux des enfants (3/17)

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Loïc et liberté marchaient au bord du lac en rentrant de l'hôpital. Liberté allait devenir sa colocataire, c'était décidé. Elle avait besoin d'un endroit où loger et d'un guide chesnaien ; lui avait besoin d'un peu de nouveauté dans son quotidien. De l'autre côté du lac, ils voyaient un père et son fils en train de nourrir les canards. Cela fit sourire Loïc, qui demanda :

« Tu voudras avoir des enfants ?

– Oui. Dans deux ans.

– Comment ça dans deux ans ? Comment tu peux prévoir ce genre de choses ?

– Bah, je vais passer l'agrément l'année prochaine.

– L'agrément ? C'est quoi ça ? Un truc bizarre de Dievex ?

– Je ne sais pas comment vous appelez ça à Chesna. Mais avant de faire une demande d'enfants aux laboratoires, les couples doivent bien passer des tests non ?

– Bah non. Il n'y a pas besoin de tests. Tous les Chesnaiens sont fertiles. Tu as peur d'être stérile ?

– Mais non. Tu connais très mal Dievex en fait. Ça ne fait rien d'être stérile. On ne va pas porter de bébés, alors si jamais nos gamètes ne sont pas viables on ne le saura jamais. Je parlais de tests pour savoir s'ils sont aptes à devenir parents.

– Aptes à devenir parents ? Mais, enfin, du moment qu'ils sont pas stériles ils peuvent devenir parents.

– De bons parents je veux dire. Non ! Ne me dit pas que vous ne vérifiez pas !

– Mais vérifier quoi ? Ils ont le droit d'être parents, on ne va pas le leur interdire. Ce serait inhumain ! Puis comment c'est possible que vous ne sachiez pas si vos gamètes sont viables ? Vous avez bien des enfants ! Et si vous ne les portez pas, c'est qui qui le fait ?

– Bah, on prend des gamètes au hasard et on fabrique des embryons qui grandissent dans une couveuse. Ensuite quand ils naissent, on les confie à des parents qui seront aptes à les élever. Comment vous pouvez laisser n'importe qui élever des enfants ? C'est complètement irresponsable !

– Mais ce sont leurs enfants ! On ne peut pas leur interdire d'avoir des enfants ! Du coup c'est comme si vous adoptiez tous vos enfants ? C'est trop bizarre ! Ils naissent vraiment dans une machine ? J'en avais déjà entendu parler, mais je croyais que c'était une légende. Et ce ne sont même pas les gamètes des parents ? Mais ils viennent d'où alors ?

– Ils viennent d'une banque commune regroupant des gamètes de tous les Dievexois. Enfin, presque tous. Je n'ai pas encore fait les opérations pour qu'ils puissent récupérer certains de mes ovules. Mais je compte le faire l'année prochaine, en même temps que les cours pour l'agrément. A Dievex ils ne confieront jamais un enfant à quelqu'un qui n'a pas les compétences requises. Je trouve ça normal.

– Mais du coup c'est un vrai projet ? Genre là tu sais que dans deux ans tu vas avoir un enfant. Mais avec qui ?

– Bah, toute seule. C'est que des préjugés vos histoires comme quoi il faut être deux pour être parent. C'est hyper injuste de ne laisser que les couples avoir des enfants, vous ne vous rendez même pas compte ! Tu veux des enfants toi ?

– Oui bien sûr. J'en voudrais quatre.

– Quand ça ?

– Bah je ne sais pas. Quand je serais marié. Puis ça dépendra de ce qu'elle voudra elle, aussi. Mais je ne crois pas que je pourrais épouser une femme qui voudrait moins que trois enfants.

– Et c'est nous qui sommes bizarres ?

– Tu comptes vraiment élever un enfant toute seule ?

– Bah, je ne sais pas vraiment ; ça dépend. Ça dépend de si je rencontre quelqu'un entre temps. Mais dans tous les cas j'aurais un enfant. Enfin je peux changer d'avis bien sûr, mes plans peuvent évoluer. Tout dépend des possibilités que m'offrira la vie. Mais je pense que je voudrais des enfants à un moment ou un autre de toute manière. Et je ne vois pas pourquoi être seule devrait m'empêcher de réaliser ce projet.

– Parce que ce ne serait pas bon pour les enfants en question.

– Ça c'est toi qui le dit ! C'est Chesna qui le dit ! Mais je ne vois pas pourquoi ? Ma mère m'a élevée seule les trois premières années de ma vie, et je me porte très bien.

– Ça, c'est toi qui le dit.

– Hey !

– Non, je plaisante. Mais, je ne sais pas. Ce n'est pas parce qu'il y a moyen de s'en sortir avec un parent unique que ça veut dire que ce n'est pas quand même mieux d'en avoir deux. Ta mère a fini par se marier ?

– Non, mais elle et mon beau-père ont vécu ensemble pendant 12 ans. C'est en partie lui qui m'a élevée. Je le considère un peu comme mon père, même si officiellement il ne l'est pas.

– S'ils ne se sont pas mariés, ce n'est même pas ton beau-père. Pourquoi ils ne se sont pas mariés ?

– Parce qu'ils savaient que leur relation ne durerait probablement pas. Le mariage c'est pour la vie ; ils ne se sentaient pas en mesure de se faire cette promesse là. Et ils avaient raison. Ils ont fini par se séparer quand j'avais 16 ans.

– Tu ne le vois plus ?

– Si bien sûr ! Ce n'est pas la loi et les mots qui font tout. C'est mon père quand même. Élever les enfants c'est tout ce qui fait des parents de toute façon ; les élever et les aimer. C'est mon père ; et je continue de le voir et de passer du temps avec lui. Avec mes demi-frères aussi. Ils sont quand même ma famille. La famille ça peut être un peu plus complexe que ce que vous vous imaginez ici, mais c'est toujours beau quand même. Et cette complexité est aussi ce qui peut faire la richesse d'une famille.

– Mais si tu adoptes toute seule, ce ne sera pas une famille.

– Si ! Bien sûr que si ! Regarde ce père avec son gosse ; celui qui nourri les canards. Bien sûr je me doute qu'il y a une mère quelque part dans le tableau. On est à Chesna après tout. Mais regarde-les, imagine qu'elle n'existe pas, et dis-moi que tu ne vois pas une famille. »

Humains néanmoinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant