Peut-être que, dans un autre monde, Liberté et moi aurions pu former une famille. Peut-être, si nous avions vécu plusieurs générations plus tôt ; à l'époque où n'existaient ni Dievex ni Chesna. Peut-être que, si nous étions nés de la même façon l'un et l'autre, si nous avions été exposés au même monde, nous aurions pu vivre en harmonie, former une famille. Probablement même.
Peut-être que nous n'aurions pas été si différents de nous mêmes, de ce que nous sommes dans son monde. Liberté aurait voulu changer le monde, le faire tendre vers autre chose. Avec ce fascinant mélange qu'elle a de bienveillance et d'ambition ; cette combinaison que nous autres Chesnaiens avons toujours jugé impossible. Cette combinaison qui s'exprime si bien en elle, où l'ambition de changer le monde se nourrit d'une bienveillance qui s'étend à l'humanité entière dans son abstraction plutôt qu'à des êtres humains spécifiques. Je suis convaincu que ce mélange est ancré en elle ; dans ses gènes. Je crois qu'elle aurait été comme ça même sans être née et élevée à Dievex. Je crois qu'elle aurait voulu être libre. Mais je crois que nous aurions pu nous aimer. Elle aurait eu chacune des opinions farfelues de Dievex, sans que Dievex n'existe. Et nous aurions débattu, nous n'aurions pas été d'accord, mais ça n'aurait pas été grâve parce que rien n'aurait pu mener à des décisions réelles, parce que ce ne serait resté que des débats théoriques, des disputes imaginaires.
Si nous nous étions aimés, elle et moi dans le monde du passé, j'aurais ri en disant que si la possibilité m'était offerte de regarder ses gènes je le ferais, et elle se serait indignée contre cette idée. Mais nous ne nous serions pas séparés pour autant car jamais je n'aurais eu la possibilité concrète de les regarder. Nous aurions eu un enfant, qu'elle aurait porté. Un enfant qui n'aurait pas été le fruit d'un accident ou d'un risque pris inconsidérément ; qui n'aurait pas été une connerie. Nous aurions eu un enfant que nous aurions élevé comme un être libre. Un enfant que nous aurions choisi d'avoir, mais dont nous n'aurions pas choisi les gènes. Un enfant envers lequel nous aurions essayé de ne pas avoir trop d'attentes. Et puis, j'aurais essayé de convaincre Liberté d'avoir d'autres enfants. J'aurais voulu une famille complète ; une avec plusieurs enfants. Elle m'aurait objecté que le monde était en surpopulation et qu'un enfant suffisait bien. J'aurais peut-être réussi à la convaincre d'en avoir d'eux, à la rigueur. Deux enfants pour un couple, c'est la stabilité de la population, et ce n'est pas à nous de compenser les excès des autres.
Un enfant unique, c'est une aberration. Ce serait mauvais pour lui. Les enfants ont besoin d'apprendre à partager. Chaque enfant est l'être le plus parfait du monde aux yeux de ses parents. Un parent aime forcément son enfant plus que tout, et c'est bien naturel. Alors, le seul moyen d'apprendre à un enfant un peu d'humilité, c'est d'en avoir plusieurs. Si nous avons plusieurs enfants, nous les aimons chacun autant et les trouvons tous merveilleux chacun à leur propre façon. Cela nous permet d'élever des humains qui ne soient pas imbus d'eux-mêmes, qui ne croient pas que leur combinaison génétique est la meilleure du monde. Parce que l'humanité n'est pas juste compétition. Certains choix génétiques sont meilleurs que d'autres ; mais il n'existe pas un choix parfait. Il est important que les enfants apprennent à reconnaître que plusieurs façons d'êtres différentes peuvent être favorables ; chacune à leur façon. Il est primordial qu'ils comprennent que chacun a quelque chose de différent à apporter au monde. Avoir des frères et sœurs permet ça. Ça leur permet aussi d'apprendre à partager ; d'apprendre la sociabilité ; de ne pas être seul, de ne pas s'ennuyer. Ça leur permet de recevoir plus d'amour, de créer de meilleurs souvenirs. Alors, jamais je n'aurais laissé Liberté me convaincre de n'avoir qu'un enfant. Mais Liberté aurait été tenace. Alors nous aurions probablement choisi d'adopter les suivants. Mais j'aurais malgré tout eu les quatre enfants que je compte bien avoir.
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Humains néanmoins
Science FictionIl est né avec collé sur son berceau une cartographie de son patrimoine génétique, choisi par ses parents et définissant dans les moindre détails qui il est destiné à devenir. Elle est née dans une couveuse artificielle, de la rencontre de deux gam...