Je veux partir (15/17)

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Loïc regardait liberté écrire. Elle s'était réveillée plus tôt que lui, et il la regardait écrire en mangeant ses céréales. Tous les matins elle écrivait. Il n'osait même plus lui proposer de prendre le petit-déjeuner avec lui. Une fois sur deux elle acceptait, mais l'autre elle le rembarrait d'une manière absolument désagréable. Liberté ne supportait pas d'être interrompue quand elle écrivait. Pourtant, elle aurait bien pris le petit déjeuner avec Loïc. Mais une fois qu'elle avait commencé à écrire, plus rien d'autre ne comptait. Loïc la regardait écrire, chaque matin. Et il commençait à en avoir assez :

« Je ne comprends pas. Ça me fait mal tu sais. Mais tu t'en fiches. Moi je pars travailler toute la journée, je te vois peu quand on y pense. Toi tu as toute la journée pour écrire : explorer et écrire, c'est tout ce que tu as à faire. Et tu peux le faire n'importe quand, mais tu choisis de le faire pendant les moments qu'on pourrait partager.

— Tu sais bien que ce n'est pas contre toi. J'adore passer du temps avec toi. Mais je ne choisis pas quand l'inspiration survient. Quand soudain une éclaircie survient dans mes idées, j'ai besoin d'en profiter pour les mettre en mots.

— Et quand tes idées sont embrouillées, tu as besoin de les mettre en mot pour créer une éclaircie.

— Exactement.

— Mais ce n'est pas une excuse. Tu as toujours besoin d'écrire, toujours des idées. Il n'y a pas que toi qui compte. Je ne comprends pas. Tu n'es pas censée être comme ça.

— Pas censée être comme ça ? Ça veut dire quoi ça ?

— Ça veut dire que tu devrais être moins égoïste, avoir envie de passer du temps avec les autres et de leur faire plaisir, faire passer ton bien-être après le leur et après l'envie de partager.

— Je ne devrais rien du tout ! Ce n'est pas toi qui fixe les règles. Ce n'est pas Chesna qui fixe les règles. Pas pour moi en tout cas. Ce n'est pas à toi de dire qui je devrais être.

— Ce n'est pas moi qui le dit ! Ce n'est pas Chesna ! C'est qui tu es Liberté ! Je ne sais pas ce qu'il t'arrive. Peut-être que c'est parce que tu sais que tu vas mourir jeune. Mais ça ne change rien. Normalement tu ne devrais pas être comme ça. Tu devrais être plus..

— Plus quoi ?

— Grégaire, aimante, démonstrative, altruiste. Moins individualiste, moins égoïste, moins centrée sur toi et tes pensées.

— D'après les normes de Chesna ! Mais moi je n'en ai rien à faire des normes de Chesna. Je ne suis pas égoïste. Je ne fais de mal à personne. Je pensais que t'étais capable de comprendre que je t'aimais même si passer du temps avec moi à chaque minute où c'est possible n'est pas ma priorité.

— Non, pas d'après les normes de Chesna. Je dis pas que c'est mal ; je comprends même qu'à tes yeux ça ne le soit pas. Mais tu ne devrais pas être comme ça ! Ce n'est pas qui tu es !

— Mais c'est que moi qui peut dire qui je suis.

— Non ! C'est tes gènes aussi !

— Mes gènes ils pourront rien dire. Je ne veux pas savoir ce qu'ils ont à dire. Je ne leur laisserais pas le droit de parler.

— Mais ils parlent malgré tout. Tu n'es pas comme ça en vrai. Tu ne devrais pas être comme ça.

— Oh Putain ! T'as regardé...

— Oui... Tu n'es pas toi Liberté. Peut-être que c'est à cause de Dievex, peut-être que c'est à cause de la zombification, je n'en sais rien. Mais t'as besoin de redevenir toi.

— Je m'en fiche de ce que mes gènes disent ! Mais je ne m'en fiche pas que tu aie regardé ! Pourquoi t'as fait ça ! Maintenant ce sera plus possible.

— Qu'est-ce qui ne sera plus possible ?

— Toi et moi on pourra plus être rien du tout. On pourra plus passer du temps ensemble, parler, être complices. Ni rien de plus ni même ça.

— Pourquoi ? Parce que je n'ai pas tenu ma promesse ? Tu te sens trahie ? Je suis désolé. Mais j'avais besoin de savoir. Et toi aussi tu as besoin de savoir.

— Je n'en ai rien à faire de ton manque de fiabilité ! Je compte pas sur les autres et de toute façon tu ne me dois rien. Mais on pourra plus être rien du tout parce que je pourrais plus supporter ta façon de me regarder.

— Ma façon de te regarder ?

— Ta façon de me percevoir oui. Tout ce que je dirais, tout ce que je ferais, tout ce que je serais, tu ne pourras plus l'interpréter autrement qu'à travers ce prisme là. Tout sera toujours en référence à mes gènes, et à si je suis ou non ce que d'après toi ils disent que je devrais être. Ce sera invivable ! Vous êtes trop nuls ! Comment j'ai cru que tu pourrais être différent ? Comment j'ai cru que tu pourrais me considérer comme un être libre ? Tu crois que je suis déterminée par mes gènes, comme vous tous. Tu crois que je me leurre quand je dis que je choisis qui je suis. Je ne sais pas ce que tu crois exactement. Mais tu préférerais que je sois un robot comme vous tous.

— On n'est pas des robots ! On est humains !

— Mais tu crois vraiment que l'humanité c'est ça ? Vous êtes qu'une infime portion de l'humanité. Ouais vous êtes des êtres humains, encore un peu au moins. Mais vous ne constituerez jamais une véritable humanité ! Vous êtres qu'une minuscule partie de tout ce que l'humanité pourrait être. Vous faites du gâchis de l'humanité ! Vous l'enfermez ! Vous la réduisez ! Et il est hors de question que je sois enfermée et réduite !

— Je ne veux ni t'enfermer ni te réduire.

— Je sais que ce n'est pas ton intention ! Mais c'est ce que tu fais malgré tout. C'est ce que Chesna fait ! Ce n'est peut-être pas l'intention, mais c'est la conséquence. Et je ne laisserais pas ça m'arriver. Je veux partir. Je vais partir. Maintenant.

— Partir ? Mais tu dois encore rester deux mois.

— Il est hors de question que je reste un jour de plus ! »

Liberté referma le clapet de l'ordinateur et fit ses valises.

Humains néanmoinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant