J'ai vu ces femmes, des Chesnaiennes, qui avaient le ventre gros et le teint rayonnant. Elles s'éclipsaient parfois pour vomir, mais proclamaient haut et fort que jamais elles n'auraient renoncé à la chance de porter leur enfant. J'ai parlé à ces femmes qui ne voulaient pas adopter parce qu'être enceinte était important pour elle. Et une part de moi les déteste ; parce qu'elles penseront toujours que nous sommes moins pleinement parents qu'elles, pour ne pas avoir porté nos enfants.
Le fait est que, quand on a vécu quelque chose avec notre enfant, cela nous rapproche, inévitablement. Et je peux comprendre qu'elles se disent que leur grossesse les a connectées à leur enfant ; je ne nie pas que cela soit vrai. Mais je ne conçois pas qu'elles puissent penser que cela est nécessaire, que cela implique que nous sommes moins proches de nos enfants. C'est absurde ! C'est exactement comme si, un jour, j'allais admirer les étoiles avec mon enfant et, le lendemain, je me mettais à considérer que tous ceux qui n'ont jamais admiré les étoiles avec le leur ne sont pas pleinement parent et ont retiré un droit à leur enfant. Parce qu'admirer les étoiles avec mon enfant m'aura rapproché de lui, certes, mais il y a toujours des milliers de façons de se rapprocher d'un être humain. Et proclamer que l'une ou l'autre de ces façons est nécessaire est une pure absurdité !
Je crois que la grossesse est un bien pour les parents plus que pour les enfants. J'ai vu ces Chesnaiennes heureuses, et elles m'ont presque donné envie d'être enceinte moi aussi. Juste pour savoir ce que cela ferait. Si je portais un enfant, ce serait au nom de la liberté. Liberté qui existe par la multiplicité des possibilités. Peut-être que chaque possibilité dont nous ne profitons pas est une perte ; que chaque possibilité qui ne nous est pas offerte est un dommage qui nous est causé. Peut-être qu'être enceinte est l'une des innombrables expériences qu'un être humain peut vivre et que s'en priver est une erreur. Mais, en même temps, tous n'ont pas cette possibilité. Alors, profiter de cette expérience qui est refusée à d'autres, ce ne serait pas un crime, mais en tout cas ce ne serait pas quelque chose qui relèverait d'une valeur plus grande, plus générale, que ma simple liberté individuelle.
Mais peut-être que ma liberté individuelle, c'est déjà une valeur importante. Sauf que j'ai déjà bien assez de façons différentes de pouvoir l'exprimer. Malgré cette certitude, oui, une part de moi aurait aimé pouvoir vivre une grossesse ; juste pour comprendre ce que cela fait, ce qu'elles y trouvent. Juste par curiosité. Mais on ne fait pas un enfant juste par curiosité ou pour affirmer sa liberté individuelle. On ne fait pas un enfant pour soi ! Ce serait somme toute un choix relevant de l'égoïsme. Au fond, ce n'est pas plus mal que les choses soient bien dissociées. J'aime affirmer ma liberté individuelle et vivre des expériences juste pour moi, et c'est mon droit. Mais ce que je ferais pour mon futur enfant, je le ferais uniquement pour lui. Je ne veux pas tout mélanger. Et, en même temps, je ne suis pas certaine que l'on puisse vraiment séparer. Parce que quand je regarderais les étoiles avec lui, ce sera aussi une expérience que je vivrais en même temps également pour moi ; rien ne pourra jamais être vraiment juste, purement et uniquement pour lui.
Alors je ne sais pas ; peut-être qu'au fond pouvoir porter un enfant serait bien. Mais je me sentirais coupable envers tous ceux qui ne peuvent pas. Et ce serait trop dangereux ; beaucoup trop. Trop dangereux pour moi ; et trop dangereux pour mon futur enfant. Trop dangereux de faire ça à Dievex en tout cas, pour des raisons médicales aussi bien que sociales. Alors, la question ne se pose même pas ; si j'avais voulu porter un enfant, il aurait fallu que je reste à Chesna. A Dievex, jamais les médecins ne m'auraient aidée à mener à bien un projet pareil. Quant aux médecins de Chesna, jamais ils ne m'auraient permis de mener à bien un projet pareil seule et sans choisir les gènes de l'enfant. Mais j'avoue que, l'espace d'un moment, cette possibilité m'a traversé l'esprit.
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Humains néanmoins
Bilim KurguIl est né avec collé sur son berceau une cartographie de son patrimoine génétique, choisi par ses parents et définissant dans les moindre détails qui il est destiné à devenir. Elle est née dans une couveuse artificielle, de la rencontre de deux gam...