Je veux plutôt mourir (9/17)

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Ce jour là, Liberté faisait de la balançoire. Elle volait et cela lui allait bien. Loïc s'assit sur l'autre balançoire et essaya de la rejoindre. Ils tentèrent de se synchroniser, mais en vain. Et, pendant ce temps, se balançant, échouant à se retrouver au même niveau, ils parlèrent :

« Je ne fais jamais de balançoire, avait commencé Loïc. Elle est là pour mes futurs enfants, ou pour quand mes petits frères viennent me rendre visite. Mais je n'en fais jamais. J'avais oublié la sensation. J'adorais faire de la balançoire pourtant. Comme si l'espace d'un instant j'étais capable d'arrêter de penser.

– Quoi ? Pardon ? Tu arrêtes de penser ? Je n'arrête pas de penser ! Je trouve que je pense mieux ici, ça me permet de faire le tri. Comment tu peux ne plus penser ? Il doit forcément y avoir quelque chose !

– Je ne sais pas. Je ris. Je rigolais toujours quand je faisais de la balançoire. Je me souviens des étoiles et des nuages que je regardais. Je me disais que c'était beau. Je me disais que j'étais bien. Je riais. Mais je ne pensais à rien de particulier, j'oubliais mes préoccupations.

– Peut-être, je ne sais pas. Je trouve que c'est penser quand même ça. C'est forcément penser. C'est agréable de faire de la balançoire. Ne pas penser, ce n'est pas agréable. Ne plus penser, c'est le pire enfer que je puisse imaginer. Je préférerais encore mourir.

– Tu préférerais mourir que faire de la balançoire si faire de la balançoire t'empêchait de penser ? Je te trouve un peu dure.

– Tu sais très bien ce que je veux dire. Je voudrais plus vivre. Quand je pourrais plus penser. Ça va arriver. Probablement. Très probablement. Trop probablement. Et le jour où je serais sûre que je ne pourrais plus jamais penser, je voudrais mourir. Ce n'est pas comme arrêter de penser pendant un moment ; t'as raison ça pourrait être reposant de temps en temps. Mais arrêter de penser pour toujours : il ne resterait plus rien. Ça ne vaudrait plus la peine de vivre. Même si je riais tout le temps. Ce serait juste automatique. Même si je faisais de la balançoire. Ce serait juste automatique. Je ne veux pas être un automate. Je ne veux pas. Je préférerais encore mourir.

– Moi aussi.

– Quoi toi aussi ?

– Moi aussi, si je devais un jour finir comme ta mère, je voudrais qu'on mette fin à ça.

– Tu ne me trouves pas horrible de penser ça ? De ne plus l'aimer comme elle est maintenant ? De l'avoir abandonnée ?

– Tu n'es horrible ; c'est cette maladie qui l'est. Ta mère, elle n'existe plus. C'est comme si elle était déjà morte ; non ?

– C'est l'impression que j'ai. Je me sens en deuil. J'ai envie de croire qu'elle va me revenir mais je sais bien que ce n'est pas possible. J'ai cet espoir absurde que je n'aurais pas si elle était vraiment morte, et je crois que cet espoir rend les choses encore plus difficiles. C'est horrible de ne pas savoir. Tu penses vraiment que je ne suis pas horrible ? Tu n'es pas censé m'exposer les opinions de Chesna pour que je puisse écrire mes articles ? T'étais censé être représentatif, pas me rassurer. Je veux savoir ce que tu penses vraiment.

– Je pense que t'as raison. Je ne pensais pas ça avant de te rencontrer. J'aurais entendu parler de toi et je t'aurais probablement trouvée horrible ; c'est vrai. Mais je te connais et tu n'es pas horrible. Je te connais et je vois bien à quel point tu l'aimais. Je vois bien comment tu parles d'elle et je vois bien qu'elle n'est plus là. Et je pensais que la vie valait toujours la peine d'être vécue. Mais je n'avais jamais entendu parler de la zombification. Peut-être que c'est la seule exception.

– Pourquoi ce serait la seule exception ? S'il y en a une, il y en a probablement d'autres.

– Je ne sais pas. Mais tu vois, dans la plupart des cas, il reste toujours la pensée. Et tant qu'on peut penser de nouvelles pensées, il y a de la vie. Ou même penser les mêmes pensées, mais être conscient des choses au moins. Si t'es plus conscient de rien, c'est comme s'il n'y avait plus rien. On est avant tout des consciences après tout.

– On n'est pas des robots, pas des machines, pas des automates, pas des zombies.

– On est des êtres humains.

– Tous les deux ?

– Tous les deux. »

Humains néanmoinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant