Je veux vivre (8/17)

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Loïc ne savait pas comment lui dire. Il détestait être porteur de mauvaises nouvelles. Ce n'était pas pour rien qu'il avait choisi comme domaine d'exercice l'aide à la procréation ; tous les autres champs de la médecine étaient si déprimants. Pour une bonne nouvelle annoncée, combien de mauvaises ? Dans son domaine, il était uniquement celui qui annonçait aux parents la plus belle nouvelle de leur vie : enfin était créé le zygote parfait, prêt à être implanté dans le ventre de sa mère. Voilà le genre de personne que Loïc était ; voilà le genre de nouvelles qu'il aimait annoncer.

Liberté était là, devant lui, en train de croquer à pleines dents dans un hamburger. Elle était si pleine de vie. Lui-même avait du mal à y croire. Il ne pouvait pas se la figurer vidée de toute force vitale, réduite à un état végétatif, automate guidée par des impulsions. Il effectuait un calcul rapide dans sa tête. Si les symptômes apparaissaient à soixante-dix ans, et qu'elle en avait aujourd'hui vingt-quatre, cela lui laissait... quarante-six ans. Quarante-six petites années de vie. A peine plus que le double de ce qu'elle avait déjà vécu. Autant dire rien du tout. Pas assez certainement. Pas pour Liberté en tout cas. Cette fille avait tant et tant de projets. Loïc n'avait jamais vu une telle envie de vivre, une telle envie d'explorer toutes les possibilités. A n'importe qui d'autre, une telle nouvelle aurait été plus facile à annoncer. Mais c'était à elle qu'il devait l'annoncer. Elle avait besoin de le savoir. C'était toujours mieux de savoir.

« Je suis désolé, Liberté. Je ne peux pas attendre plus longtemps. Je dois te le dire... les résultats sont arrivés. Tu devrais poser ton hamburger, si tu ne veux pas t'étouffer. Tu as le droit de pleurer. Tu as le droit d'être triste. Je suis désolé. Je suis désolé d'être celui qui doit t'annoncer ça. Je... Tu... » Il ne pouvait pas pu continuer sa phrase. Elle le regardait fixement dans les yeux. Par chance, elle continua à sa place. « Pas besoin de le dire, Loïc. Je sais. Je comprends. J'ai compris. Ce que tu viens de dire veut tout dire. Ne pleure pas s'il te plait. C'est rien. Merci. Merci infiniment. Je voulais savoir. Maintenant je sais. Je n'ai pas envie de pleurer. J'ai envie de vivre. J'ai pas envie de perdre une seule minute à pleurer. Je viens de perdre au moins trente ans de pleurs potentiels. Je n'ai pas une seconde à gâcher. Il faut juste que je vive. »

Liberté ne faisait pas semblant, ne mentait pas. Elle ne se sentait pas triste. Elle avait eu le temps de se faire à l'idée, sachant que c'était une possibilité. Elle était heureuse de le savoir, d'être fixée. Elle pourrait maintenant faire ses choix en connaissance de cause. La vie était courte ; elle ne voulait pas la gâcher. Alors, elle reprit son hamburger à deux mains et en croqua une grosse bouchée. Loïc était là, juste en face d'elle, à la regarder d'un air interloqué. Elle aimait sa réaction. Elle aimait le prendre ainsi au dépourvu. Et elle aimait qu'il soit là avec elle. Elle aimait le regarder. Et elle avait une furieuse envie de goûter à ses lèvres. Alors, parce que la vie était trop courte, elle reposa son hamburger et alla s'asseoir près de lui. Elle essuya la larme qu'il avait près de son nez. Son doigt caressa les lèvres de Loïc. Elle le regarda dans les yeux et y lut ce qui semblait être une approbation. « Il faut juste que je vive », répéta-t-elle une autre fois. Et leurs lèvres se rejoignirent. Liberté se sentit alors pleine de vie, plus loin que jamais de l'état de zombie.

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