Les enfants doivent être le fruit de l'amour. Ils ont besoin d'un père et d'une mère. Souvent, rencontrer l'amour est ce qui nous donne envie d'avoir des enfants ; irrépressible besoin de voir se matérialiser le mélange de nos deux identités. Mais, à Dievex, ce n'est pas comme ça. Là bas, devenir parent est une décision individuelle. Ils ont fait de "parent" un mot singulier. Une décision rationnelle en un sens : les couples ne durent pas forcément. Il semble que des gènes multiples soient impliqués dans l'amour, et même si nos travaux génétiques nous ont permis de faire progresser la fidélité, la monogamie et augmenter la longévité de l'amour, parfois les couples se brisent. Parce que, parfois, la capacité d'aimer n'est pas plus forte que nos autres traits : certains privilégieront leur carrière et choisiront de faire un sacrifice pour elle, d'autres rencontreront quelqu'un d'autre parce qu'ils se seront lassés de leur quotidien, d'autres encore finiront par s'apercevoir que la personne qu'ils ont choisi ne leur convient pas.
Ce n'est pas que la génétique est impuissante : nous aurions probablement pu rendre l'amour plus fort que tout, si nous l'avions voulu. Mais la liberté de choix prime, et la plupart des parents ont des choix différents. Rendre l'amour plus forte que les autres valeurs ne semble pas forcément souhaitable, et peu de parents font ce choix pour leur enfant. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre, il faut faire un choix. Je ne suis pas ambitieux, mais je suis curieux, alors probablement que mon amour pour Laurène ne durera pas pour l'éternité. Mais il durera suffisamment longtemps pour que l'on puisse élever nos enfants ensemble. Et s'il ne dure pas assez, nous resteront ensemble malgré tout : pour eux. Car la famille est plus importante que tout. L'amour romantique n'est pas la chose la plus importante qui soit. Mais l'amour que nous portons à nos enfants l'est. Du moins, c'est le cas à Chesna.
Si Laurène et moi nous étions rencontrés à Dievex, nous aurions dû choisir qui de nous deux serait le parent de notre futur enfant. Comme si nous n'allions pas l'être tous les deux ! Peut-être même aurait-elle eu un enfant avant que j'entre dans sa vie ; comme ça a été le cas de la mère de Liberté. Et alors quoi ? Alors j'aurais été la dernière roue du carrosse. Le beau-père. Celui qui est parent sans l'être vraiment, qui donne tout sans rien recevoir en retour, qui a tous les devoirs et aucun droit. Le jour où Laurène et moi nous serions quittés, j'aurais été forcé d'abandonner mon enfant ; celui que j'aurais élevé. Même moi, qui pourtant considère que le fait de partager ses gènes fait partie intégrante de la parentalité, suis capable de réaliser à quel point cette situation serait horrible ! On ne peut pas enlever un enfant à son parent. Je ne suis pas là pour comparer les horreurs, et probablement qu'enlever un enfant à son parent biologique est bien pire qu'enlever un enfant à son parent adoptif. Mais les beaux-parents devraient avoir des droits. Et quand Liberté parle de son beau-père, je vois bien qu'à ses yeux comme dans son langage il est son père. Alors, je trouve aberrant qu'aux yeux de leur législation il ne le soit pas.
Il n'y a pas de solution miraculeuse. Les couples ne durent pas forcément toute la vie : si ça ne tenait qu'à moi, je choisirais de rendre l'amour plus fort que tout ; et c'est bien ce que Laurène et moi comptons faire quand nous choisirons les gènes de nos enfants. Mais je ne choisis pas pour tout le monde, et je ne voudrais pas le faire. Les couples ne durent pas forcément toute la vie, et les enfants ont besoin de deux parents. Alors voilà, on fait au mieux. On choisit de privilégier les enfants, ou bien on est égoïste et on choisit de faire ce qui nous chante et de les abandonner, au moins à moitié. Ça fonctionne très bien comme ça à Chesna, et, malgré tout, la plupart des parents choisissent de rester ensemble au moins assez longtemps pour que leur enfant soit en âge de s'en sortir s'en séquelles. Mais il est aberrant de trancher la question en disant que l'enfant n'appartient qu'à l'un des parents. L'enfant sera attaché à ses deux parents de toute manière, les deux parents seront attachés à l'enfant ; et Dievex est fatalement dans l'erreur.
VOUS LISEZ
Humains néanmoins
Science FictionIl est né avec collé sur son berceau une cartographie de son patrimoine génétique, choisi par ses parents et définissant dans les moindre détails qui il est destiné à devenir. Elle est née dans une couveuse artificielle, de la rencontre de deux gam...