Enlèvement (Loïc)

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Je ne sais pas ce qui m'a pris de succomber à l'attrait que Liberté exerçait sur moi. D'autant plus quand je savais parfaitement quels étaient les risques encourus. Je n'ai jamais rêvé de construire quoi que ce soit avec elle. J'ai toujours su qu'elle ne me convenait pas. Mais elle me fascinait. Et j'avais envie d'être avec elle. Et j'avais envie d'elle. Mais je ne voulais pas un enfant d'elle. Alors, j'ai été un con de lui dire oui. J'ai été un con de l'emmener à la pharmacie le jour où elle m'a demandé des renseignements sur nos contraceptifs. Et j'ai vraiment été un con de lui répondre "oui" le jour où elle a frappé à la porte de ma chambre en me demandant si je voulais faire une expérience scientifique. Ce n'était pas une expérience scientifique bon sang ! On ne fait pas une expérience scientifique avec un seul sujet et sans condition contrôle. Ce n'était pas pour découvrir si nos pilules étaient efficaces sur les Dievexois qu'on faisait ça. Nous le savions. Et nous savions qu'il était néanmoins possible que cette expérience donne un résultat significatif. Si elle ne tombait pas enceinte, nous n'apprenions rien. Mais, si elle tombait enceinte, nous apprenions que les pilules ne sont pas valables sur les Sievexois. Sauf qu'alors nous écopions d'un enfant. C'était très con. Vraiment très con. Mais Liberté sait être convaincante. Et je suis curieux.

Ça aurait été une erreur monumentale. Liberté et moi n'aurions jamais pu élever cet enfant ensemble ; pas sans heurts. Nous n'étions pas faits l'un pour l'autre. Nous étions bien trop différents pour être compatibles. Beaucoup trop différents pour élever un enfant ensemble ! Alors quoi ? Je le sais au fond. Elle se serait enfuie avec notre enfant. Avant même qu'il ne naisse, quelque chose serait survenu ; je l'aurais déçue exactement comme je l'ai déçue. Et elle se serait enfuie, avec dans son ventre cet enfant qu'elle aurait considéré être le sien. Mais cet enfant aurait tout autant été le mien que le sien.

Pourtant, je ne voulais pas de cet enfant ; pas d'un enfant d'elle. Mais si elle était tombée enceinte, ça aurait été mon enfant et je n'aurais pas supporté qu'elle me l'enlève. Si elle était tombée enceinte j'aurais voulu élever cet enfant ; avec elle ou seul s'il le fallait, mais j'aurais voulu élever cet enfant. Penser qu'il aurait existé quelque part un être portant mes gènes, étant une part de moi, mais que je n'aurais pas connu et de la vie duquel je n'aurais pas fait partie ; cette pensée est insupportable pour moi. Et c'est pourtant le lot de chaque Dievexois. On leur prélève des ovules ou des spermatozoïdes, on fait des enfants avec, on ne leur donne jamais de nouvelles, et ça leur est complètement indifférent. Parce que la filiation génétique ne signifie strictement rien à leurs yeux. Mais pour moi c'est important ; et je n'aurais pas supporté qu'on enlève ou qu'on fasse disparaître mon enfant. Et je crois que c'est inévitablement ce que Liberté aurait fini par faire : partir en l'emmenant loin de moi.

Si cet enfant avait existé il serait aussitôt devenu ma priorité. Et j'aurais fait tout les procès nécessaires pour pouvoir être pleinement son père. Sauf que je n'aurais eu personne pour me défendre ; la loi de Dievex l'autorise à m'enlever mon gosse et le garder pour elle. Quant à la loi de Chesna, elle ne prévoit pas ce genre de cas, car chez nous ils ne peuvent pas exister.

Humains néanmoinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant