Protection (Loïc)

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Ce genre de situation me rappelle à quel point il est nécessaire d'avoir une contraception fiable à cent pour cents. Les enfants, tels que nous les concevons à Chesna, sont le fruit d'une demande conjointe et sont les enfants des deux parents. Il ne fait de doute pour personne qu'en cas de divorce, chaque parent a des droits. Dievex se targue d'être à la pointe en matière d'égalité des sexes, mais, sur ce point précis, je trouve Chesna bien plus avancée. A Dievex la femme a plein pouvoir. Parce qu'il s'agit de son corps. A Chesna, une femme a le droit d'interrompre une grossesse au moment où elle devient un danger pour sa vie, mais c'est la seule exception. A Dievex, la femme peut interrompre une grossesse simplement par lubie. Juste comme ça ; parce qu'elle aura changé d'avis. Elle peut mettre fin à la vie d'un enfant potentiel et le père n'aura pas son mot à dire. Comment est-ce possible ?

Comment aurais-je pu pardonner à Liberté si elle avait choisi de tuer notre enfant ? Liberté ne l'aurait pas tué de toute façon. Pourtant, ça ne lui aurait probablement fait ni chaud ni froid, de mettre fin à ce qui à ses yeux n'aurait pas été une vie. Ça ne lui aurait fait ni chaud ni froid de le faire ; mais elle ne l'aurait pas fait parce qu'au fond d'elle elle voulait cette enfant. Elle le voulait et je le savais ; je le savais au moment où elle m'a proposé cette expérience. Et nous l'avons fait néanmoins ; j'ai participé à cette connerie. Peut-être parce que je trouvais injuste que cette possibilité d'avoir vraiment un enfant lui soit refusée par son monde. Ou peut-être juste parce que j'avais trop envie d'elle pour me montrer plus raisonnable qu'elle.

C'était une belle connerie néanmoins. Une connerie qu'aucun Chesnaien ne ferait. Maintenant que nos techniques contraceptives sont suffisamment élaborées, personne n'a plus d'excuse pour être irresponsable : tous prennent des pilules comme ils se brossent les dents, et ce depuis le plus jeune âge. Des pilules sans effets secondaires, qui ne changent rien à l'expérience sexuelle, qui sont en vente gratuite et qui sont fiables à cent pour cents. La recherche sur la contraception était nécessaire ; une fois que les maladies sexuellement transmissibles ont été éradiquées l'une après l'autre, il ne nous restait qu'à trouver le meilleur moyen d'empêcher les grossesses. Une méthode contraceptive réversible évidemment ; parce que rendre les êtres humains stériles ne peut pas prétendre être une méthode contraceptive, as plus que l'avortement ! Ce sont pourtant les deux seules méthodes qui existent à Dievex il semble bien.

La plupart des Dievexois subissent leur opération de stérilité dès que possible. Mais il arrive que leur obsession de la liberté les conduise à faire des choses stupides. Je ne sais pas si retarder son opération était pour Liberté la revendication d'un choix libre, d'une volonté de vouloir une sexualité qui ait plus de sens que celle de certains de ses contemporains, ou de je ne sais quoi d'autre. Tout ce que je sais, c'est que retarder cette opération était stupide ; d'autant plus qu'elle ne comptait pas avoir d'enfants naturels de toute façon. Mais ça n'aurait pas été stupide si ça avait été une rébellion contre la stérilisation qu'on leur offrait comme seul contraceptif possible ! Je ne sais pas ce qui peut conduire des Dievexois à avoir des relations sans contraception : peut-être un désir d'enfants qui existerait malgré le fait qu'ils le nient, la volonté de se distinguer, des délais d'attente trop longs pour l'opération, ou le choix de coucher sur l'instinct du moment sans l'avoir anticipé avant. Et c'est pourquoi il n'y a rien de tel qu'une petite pilule qu'on peut prendre sur l'inspiration du moment et qui sera efficace immédiatement.

Les Dievexois sont idiots de ne pas avoir développé cette technologie. Peu importe qu'ils pensent ne pas en avoir besoin ; ils en ont besoin quoi qu'ils en disent. Comme Liberté pensait ne pas avoir besoin tout de suite de cette opération. On ne sait jamais ce dont on aura ou non besoin ; autant prendre toutes les précautions. Et le choix qu'on donne aux Dievexois n'est pas un vrai choix. Contradiction avec leur propre moralité ; ils ne sont pas libres car on ne leur donne pas assez de possibilités. Aucun autre choix que devenir stérile à vie ; avec une opération qui restera irréversible même si les mentalités de la société et ses pratiques reproductives évoluent entre temps. Même ceux d'entre eux qui ne comptent pas avoir de rapport sexuels avec le sexe opposé choisissent de se faire opérer ; histoire que leurs gamètes soient prélevées pour se retrouver dans la banque de Dievex ; preuve qu'au fond d'eux ils souhaitent être des parents biologiques ; preuve que le désir de transmettre ses gènes fait partie de la nature humaine.

Humains néanmoinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant