Je veux pleurer (12/17)

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Liberté était enfermée dans la salle de bain et Loïc entendait des pleurs à travers la porte. Elle savait qu'il l'entendait, et elle savait qu'elle était ridicule de pleurer. Elle avait commencé à pleurer en voyant la tâche de sang dans sa culotte, et elle savait que c'était de joie qu'elle aurait dû pleurer. Mais ce n'était pas de joie qu'elle pleurait. Cela faisait plusieurs minutes que Liberté pleurait et que Loïc toquait :

« S'il te plait, laisse-moi entrer.

– Ok. Mais promet-moi de ne pas te moquer. Promet-moi de comprendre.

– Mais qu'est-ce qu'il t'arrive ? Je ne peux pas te promettre de comprendre si tu ne me dis rien. Je ne comprends rien.

– Il ne m'arrive rien. J'ai mes règles, c'est tout.

– Mais c'est fantastique Liberté ! Non ? Tu es triste ? Vraiment ?

– Oui. Je sais que je ne devrais pas. Je sais que c'est mieux comme ça. On s'inquiétait toutes ces semaines, et on n'attendait que ça : pouvoir avoir ce soulagement. Et je pensais vraiment que je ressentirais du soulagement, mais ce n'est pas ce que je ressens.

– Et pourtant il y a un millier de raisons pour lesquelles tu devrais. Même si on avait été du même monde, même si on avait été compatibles, même si cet enfant avait eu des chances d'être normal. On est trop jeunes, on n'est pas prêts. On n'est même pas un vrai couple. On n'aurait jamais pu être heureux.

– Heureux, heureux ; tu n'as que ce mot là à la bouche. Tu l'auras, ton cher bonheur normatif. Oui, tu l'auras. Mais moi, ce n'était pas le bonheur que je voulais ; c'e n'était pas la perfection que je voulais. Je voulais quelque chose d'autre, je ne sais pas trop quoi mais quelque chose de différent. Quelque chose qui signifie vraiment quelque chose, qui nous rapproche du monde tel qu'il devrait être et juste qui nous rapproche. Quelque chose comme cet enfant. Maintenant la vie va juste reprendre son cours. Tout est fini.

– Et toi et moi aussi ?

– Il n'y a jamais eu de toi et moi. Tu l'as dit, on n'est pas un vrai couple. On ne l'a jamais été. On aurait pu l'être. On pourrait encore l'être. Mais ce n'est pas ce que tu veux. Toi tu veux le bonheur.

– Peut-être que je m'en fiche de mon bonheur. S'il y avait eu un enfant, je l'aurais aimé et il aurait été plus important que mon bonheur. Mais je pense aussi au sien de bonheur. Il n'aurait pas été heureux cet enfant. C'est pour ça que je préfère qu'il n'existe pas. Ce n'est pas que je n'en voulais pas. C'est que c'est mieux comme ça ; mieux pour nous mais surtout mieux pour lui.

– Et toi et moi ?

– Oui, on ne marchera pas. Oui, ça ne sert à rien d'essayer. Pas seulement parce que je veux être heureux. Aussi parce que je veux que tu sois heureuse toi aussi. Et je sais que tu ne pourras pas l'être avec moi, et je sais que tu ne pourras pas l'être à Chesna.

– Alors quoi ?

– Alors tu vas rester ici avec moi encore quelque mois, comme prévu, le temps que tu avais planifié de rester. Profiter de chaque instant qu'on peut partager, continuer de découvrir mon monde et de le juger. Remettre en question le tien, aussi. Et finir d'écrire cette série d'articles pour lesquels tu es venue.

– Et je repartirai avec des kilos de réflexion.

– Et de jolis souvenirs.

– Tu n'as pas envie de pleurer ?

– Un peu. Ça me rend triste de te voir triste. Je sais qu'un jour tu seras une mère formidable. Mais pas maintenant, pas avec moi, et pas pour cet enfant là. Ne t'inquiète pas, tu finiras par pouvoir donner tout cet amour que tu as en toi. Juste pas à lui.

– Et pas à toi. »

Humains néanmoinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant