Chimère (Loïc)

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Malgré tout, j'aurais aimé cet enfant. Je l'aurais aimé même avec toutes ses imperfections : ses tares de Dievexois et ses traits que je n'aurais pas choisis. Je l'aurais aimé en tant que mélange de Liberté et moi, en tant que mélange de Dievex et Chesna. Je l'aurais aimé parce qu'il aurait été unique. Je l'aurais aimé parce que j'aurais été son père. Je ne l'aurais pas aimé moins que j'aimerais les enfants que j'aurais avec Laurène, je ne l'aurais pas aimé plus ; je l'aurais aimé autant.

Peut-être qu'après tout, le choix des caractéristiques de son enfant n'est pas indispensable. L'amour que l'on a pour lui existera malgré tout. Nos gènes nous poussent à aimer ceux qui les partagent. Les Dievexois pensent que la composante génétique de l'amour parental n'existe pas ; ou que dans certains cas son effet est annulé ou minimisé par d'autres facteurs. Moi, je ne peux pas y croire. Les parents qui n'aiment pas suffisamment leurs enfants doivent juste avoir des gènes défectueux. Ou peut-être que les Dievexois qui n'aiment pas leurs gosses ne les aiment pas justement parce qu'ils ne partagent pas leurs gènes. A Chesna, personne n'a de gènes défectueux. Les humains sont programmés pour aimer leurs enfants. C'est ainsi.

Le choix des traits de notre enfant n'est pas ce qui nous permet de l'aimer ; c'est juste ce qui permet à cet amour d'être pleinement satisfait. Parce qu'aimer son enfant, c'est vouloir le meilleur pour lui ; c'est vouloir qu'il soit apte à être heureux. Et aimer un enfant qui n'aura pas en lui le potentiel de devenir heureux, ou qui sera tel que des difficultés insurmontables se dresseront forcément sur son chemin, ce serait une véritable torture. Mon amour l'enfant que j'aurais eu avec Liberté m'aurait inévitablement rendu malheureux. Nous l'aurions élevé à Chesna et il aurait été regardé comme une curiosité de la nature. Je l'aurais aimé malgré ça ; mais peu de personnes l'auraient aimé, et il en aurait souffert. Et nous aurions souffert qu'il en souffre. Petite Chimère ; mélange de Chesnaien et de Dievexoise ; peut-être plus un miracle qu'un monstre, mais une exception néanmoins. Et personne n'aime les exceptions ; sauf leurs parents.

Nous l'aurions élevé à Chesna, forcément, car je n'ai pas le droit d'aller à Dievex. Ils ne voudraient pas de moi là bask car ils penseraient que ma mentalité souillerait leur culture. A tous les coups, Liberté aurait fini par aller à Dievex sans moi, et, au final je n'aurais probablement pas fait de procès. J'aurais compris son choix et je l'aurais laissée faire ; parce que ça aurait été ce qu'il y avait de mieux pour le bonheur de notre enfant. Cet enfant au mélange génétique étrange aurait été plus heureux à Dievex qu'à Chesna. Là bas, il aurait été normal, accepté, aimé, autorisé à être lui-même dans toute sa singularité. J'aurais laissé Liberté l'emmener là bas. Et j'aurais souffert toute ma vie d'être séparé de mon enfant. Enfant chimère. Jolie connerie. Je suis heureux que le hasard n'ait pas permis son existence. Peut-être qu'après tout, on peut parfois compter sur la sélection naturelle ; elle sait au moins ce qui n'est pas viable.

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