10 - Marianne

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 L'annonce de mes fiançailles avait fait le tour de l'Angleterre en moins d'une semaine. Tout le monde en parlait, et quand je sortais, je sentais leur regard sur mon dos. Peu de monde ne semblait pas me juger ; Jane, avec qui nous n'avions pas reparlé de cette histoire avec Robin des Bois et sa trahison envers la couronne, son mari, Henry qui tentait de me redonner confiance en moi, ainsi qu'une servante, celle qui m'avait calmée alors que je ne connaissais même pas son nom : Isabelle.

Autrement, n'importe quel regard braqué dans mon dos me jugeait. Comment pouvais-je épouser un tel homme ? Si cruel, si horrible, si peu clément, si peu juste. Je faisais mine de ne rien remarquer, me contentant de toujours effectuer un pas droit devant moi, ne pas me retourner, avancer en les ignorant. Mais j'étais sensible, et chaque regard me poignardait et faisait couler mon sang.

Parfois, quand je passais devant une fenêtre qui donnait sur une belle vue remplie d'espoir, je me demandais comment était la vie là-bas. Je la voyais avec un point de vue subjectif ; j'étais dans l'incapacité de voir la vraie vie comme elle était, juste sous mon nez. Même si j'avais vu une partie de l'Angleterre triste et affamée, je me représentais le reste utopique ; tout ne pouvait être que meilleur qu'ici.

Mais j'étais enfermée dans mon titre, dans mon rang. J'étais piégée et restais avec regret ici. Je n'avais même plus ces sorties nocturnes pour me rendre utile...

Un léger mouvement de tête chassa mes idées noires ; ma vie n'était pas si horrible. Elle était bien meilleure que celle d'autres personnes. Je devais m'estimer heureuse.

Les mois passèrent durant lesquels je vivais à Londres, le shérif tentait d'attraper Robin des Bois qui s'était établi dans la forêt de Sherwood, mon oncle traitait les affaires d'État en condamnant chaque jour un peu plus l'Angleterre, et Jane qui me soutenait chaque jours.

Quatre mois durant lesquels je mourrais lentement, vivant dans la peur d'entendre ma phobie dans la bouche du roi. Et ce jour fatidique arriva : mon oncle le roi me fit quérir dans la salle du trône.

Tout le long du trajet, je redoutais ce qui allait m'être annoncé. Au fond de moi, je le savais, mais je repoussais toujours cette idée, me convaincant que c'était autre chose. Pourtant, quand je posai un pied dans la pièce en question, quand mon regard se posa sur ses deux occupants, tous mes espoirs s'anéantirent et je n'eus pas besoin de les entendre me parler pour savoir ce qui allait suivre.

Ma respiration s'accéléra doucement. Je m'inclinai. Je me relevai. Je leur faisais face. Je voyais les vestiges de mon monde s'effondraient, les ruines être détruites. Chacune de mes respirations soulevaient les poussières de mon monde.

- Ma nièce ! s'exclama mon oncle. Comment allez-vous ?

Je répondais machinalement à chacune de ses questions.

- Comme tu peux le voir, le shérif nous a enfin rejoints !

En effet, je n'avais fait que le voir au moment où j'étais arrivée. Comment ne pouvais-je pas remarquer sa bedaine digne d'un quadragénaire ? Ou ses cheveux tirants sur le blanc, créant un camaillot de gris ? Non, je ne l'avais que trop remarqué.

Les nouvelles étaient si mauvaises... J'allais me marier. Robin des Bois était arrêté. Les espoirs morts. Pourquoi serait-il déjà de retour sinon ?

Je n'entendis pas la suite de leurs paroles, me contentant de les fixer vaguement, hochant la tête de temps à autre. Or, je compris parfaitement la phrase que je redoutais tant :

- Marianne, vous épouserez le shérif dans un mois, le temps des préparatifs. Vous le rejoindrez...

Je cessai d'écouter. J'allais épouser le shérif le mois prochain. J'étais vide, je ne ressentais rien. J'attendais la fin. J'attendais de pouvoir partir. J'attendais le coup de grâce.

Robin des BoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant