48 - Marianne

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 J'attendais qu'il passât. Je savais qu'il allait le faire ; chaque nuit où il me pensait endormie, il venait. La première fois qu'il était venu le soir pour discuter, j'avais feint de dormir, à moitié honteuse de mon comportement, malgré Aurore qui gazouillait à côté. Respectueusement, il ne m'avait pas réveillée.

J'entendis la porte s'ouvrir doucement et ses pas légers effleurer le sol. Silencieux, Robin s'agenouilla près du lit, mais cette fois j'entendis un petit grognement de douleur. Inconsciemment, je tendais l'oreille pour en apprendre plus, mais il ne fit plus aucun bruit, de peur de me réveiller. Avec délectation, je sentis ses lèvres embrasser le haut de mon crâne et sa main caresser lentement mes cheveux avant qu'il ne se relève.

Je ne savais pas comment, mais il se débrouillait toujours pour qu'Éléonore ou Constance ne soit pas là durant son petit rituel nocturne.

Il se releva ensuite pour aller jouer un peu avec ma fille avant de l'embrasser sur le front et de partir.

Je rouvrais les yeux pour fixer le noir ; par le sang de Dieu... était-ce moi ou était-ce plus compliqué chaque jour de le repousser ?

Allan tapa sur ses cuisses, l'air sérieux, ce qui m'inquiéta. Les sourcils froncés, je l'écoutais nous annoncer que nous devions parler d'une chose extrêmement sérieuse. Quand son regard s'attarda sur Robin puis sur moi, je crains qu'il avait deviné la distance que j'avais instauré entre lui et moi. Je ne pensais pas qu'ils l'avaient remarquée, me complaisant dans le mensonge par omission.

- Robin, Mary, continua-t-il. Quand est-ce que je vais avoir un neveu ou une nièce ?

Je manquai de m'étouffer avec ma nourriture. Allan, brillant, avait décidé de nous poser cette question à un moment où il était sûr de nous avoir tous deux au même endroit : les feux de camp pendant le repas. Je n'osais pas étudier la réaction de Robin, coupable. Je faisais de mon mieux pour l'éviter, mais ce n'était pas aisé et Allan, innocemment, remuait le couteau dans la plaie sanguinolente.

Je préférais alors me concentrer sur une autre partie de sa question. Pas celle qui demandait quand nous deviendrons un couple, mais celle qui sous-entendait qu'il deviendrait oncle. J'avais beau les avoir côtoyés depuis plus d'un an maintenant, jamais je n'aurais pensé qu'ils se considéraient comme des frères. Après, ce n'était pas si surprenant, ils étaient extrêmement proche, l'énième blessure de Robin lors de la chasse et qu'il m'avait cachée avait déclenché un petit mouvement de panique chez Petit Jean, Will, Richard, Allan et Much, bien que ce dernier avait passé plus de temps à râler sur sa blessure, affirmant que le chef des hors-la-loi était un incapable. J'avais appris son altercation avec le sanglier grâce à Arthur. Au fond de moi, j'avais été partagé ; je l'avais vu, avant qu'il n'aille à l'infirmerie et il ne m'avait rien dit. J'en avais été agacé et blessé par la suite, mais la vérité m'avait rapidement rattrapée ; c'était moi qui l'avais repoussé alors je n'avais pas le droit de me plaindre s'il respectait mon souhait et ne m'ennuyait pas.

- Mary, ton avis ? me relança Allan.

Je relevai les yeux vers lui, Patiemment, il attendait la réponse. Or, je ne savais pas quoi dire sans blesser quiconque. Alors je souris simplement, avec une gêne que je tentais de dissimuler. Baissant le regard pour éviter celui confus de Will, je repris mon repas tandis que le ménestrel et Éléonore, parfaitement d'accord avec l'autre, parlaient des bienfaits de notre futur couple, selon eux.

Je pris sur moi pour éviter de m'enfuir à toutes jambes, et adoptais un pas calme et normal lorsque j'eus fini.

- Marianne ! m'appela quelqu'un.

Je n'entendais mon prénom complet que dans une seule bouche, quand nous étions seuls ou avec Richard et Allan - ce qui n'arrivait pas souvent. Je me retournai donc vers Will en prononçant son prénom, inquisitrice.

Il m'adressa un sourire et s'arrêta à ma hauteur avant de repartir pour marcher côte à côté. Il ne semblait pas décidé à parler, je le lançai donc.

- Qu'y a-t-il ?

Il me sourit mystérieusement, avant d'ajouter « Rien Marianne ». Sceptique, je marmonnais dans mon coin. Mais bien sûr, à peine venais-je quitter le repas qu'il se mettait à me suivre ! S'il n'y avait rien, il n'interviendrait pas.

Je haussai les sourcils dans sa direction, il ricana. Je marchai donc, droit devant moi.

- J'avais espéré que tu parlerais de toi-même, soupira Will, mais parfois, j'oublie que tu étais noble et qu'être silencieuse dans les moments les plus opportuns, c'est ta spécialité. (Il soupira de nouveau.) Marianne, j'ai remarqué la tension entre toi et Robin.

Ce fut à mon tour de soupirer. Je n'avais pas été aussi discrète que je le pensais. Et puis, cela ne le concernait pas... il n'avait pas à s'en mêler. J'amorçai un mouvement pour partir, mais il me retint. Je soupirai grandement, marquant mon agacement.

- Il est tombé amoureux de toi, n'est-ce pas ? Et il te l'a dit, il y a quelques semaines.

Mois. Quelques mois. Donc je n'avais pas été aussi mauvaise. Comme je ne disais rien, Will agrippa mon coude pour me tourner vers lui.

- Marianne... J'ai raison ?

Pour seule réponse, je tentai de me dégager, mais il ne me laissa pas le choix.

- Donc j'ai raison...

Je dus faire une drôle de moue sarcastique, parce qu'il se rectifia :

- Ou pas totalement... Marianne.

- Mois, dis-je, excédée et dans le besoin de me confier. Quelques mois qu'il l'a fait. Cinq pour être précise.

Je ne l'avais dit à personne. Jouer encore et encore pour éviter Robin, faire semblant que tout allait bien... C'était dur. Alors, même si je n'avais pas totalement envie que Will le sache, j'avais besoin de me confier.

Il était le plus « sage ». Là où Allan plaisanterait, Will serait sérieux. Là où Petit Jean se laisserait porter par ses émotions – de même qu'Éléonore –, Will ne dirait rien et m'écouterait. Richard... je ne voulais pas parler de cela avec lui, je me souvenais encore de son histoire avec sa défunte femme et sa défunte fille, je ne me voyais pas lui parler de mes états d'âme alors que lui... Much râlerait, ne comprenant sûrement pas pourquoi je me compliquais la vie. Mathilde, ou James, en était hors de question – beaucoup trop proche avec le concerné. Constance... Constance aurait pu, de même qu'Agathe, mais...

- Et tu as dis non, soupira-t-il, me recadrant dans la conversation.

- Évidemment ! Je lui mens, Will. Je fais ça pour lui.

Il n'ajouta rien, mais je n'avais pas besoin de moi pour comprendre sa désapprobation.

- Menteuse, finit-il par dire.

- Pardon ?

De quel droit se permettait-il de dire que je mentais ? Moi, je savais mes sentiments, ce que je pensais, mes raisons ! Pas lui !

- Tu ne fais pas ça pour lui, mais pour toi. Tu as peur Marianne.

- N'importe...

- Laisse-moi finir. (Une nouvelle fois, il m'empêcha de fuir.) Tu ne veux pas tomber amoureuse de lui parce que tu es mariée au shérif, parce que tu as peur qu'il te retrouve, mais ça, c'est sûrement ta version. Marianne, ouvre les yeux ! Cela fait plus de quatorze mois que tu es ici ! Et il ne t'a même pas vu. Tu ne veux simplement pas tomber amoureuse de lui, pourquoi exactement ? Je n'en sais rien. Peut-être que tu ne veux pas le perdre quand tu fileras le parfait amour avec lui et qu'il découvre qui tu es réellement.

« Marianne, il est tombé deux fois amoureux de toi. Une fois de Lady Marianne, et une fois de Mary. Mais ces deux personnes sont la même, alors il t'aimera Marianne. Quoi que tu fasses.

Silencieuse, je ne savais quoi dire. Je savais qu'il avait probablement raison - et même plus que cela ! - mais je ne voulais pas m'avouer cette vérité.

Il me sourit tristement.

- Peut-être même que tu l'aimes déjà. Et dans ce cas, tu vous fais souffrir, tous les deux.

Il me laissa finalement partir et je courus rejoindre Aurore, comme si elle pouvait être la solution à tous mes problèmes. Il disait n'importe quoi... N'importe quoi !

- Vis bon sang ! me hurla Will dans mon dos.

Robin des BoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant