46 - Marianne

477 21 15
                                    

- N'importe quoi, râla Much. Et puis, tu n'as pas à écouter la conversation des grands ! me rabroua-t-il.

- Vous parlez trop fort, répliquai-je mielleusement.

Much se renfrogna, plus grognon encore. Je soupirai ; lui arrivait-il de ne pas râler ?

Je calai précieusement Aurore dans le creux de mes bras, qui s'allaitait paisiblement sur mon sein dénudé. Les regards, gênés des Six, se détournaient de ma présence, sous les ricanements moqueurs féminins qui trouvaient cela particulièrement normal.

En observant mon bébé, je savais que si j'étais encore à Nottingham, je n'aurais jamais pu l'allaiter. Une nourrice l'aurait fait ; le shérif ne m'aurait pas laissée le choix. J'étais sûre qu'il aurait même engager une berceuse, seulement là pour balancer doucement le berceau ! Une autre preuve de cette ridicule richesse des nobles.

Aurore était le plus beau bébé à mes yeux. Elle était magnifique, m'apaisait, me redonnait la joie qui parfois fuyait loin de moi. Je reconnaissais les traits de mon visage, même sous ses grosses joues de nourrisson à croquer, mais je voyais également ceux du shérif. Ils avaient le même nez, et la même forme du visage. Même si la rondeur des joues l'atténuait, Aurore avait le visage ovale de son père.

Néanmoins, elle avait mes yeux verdoyants qu'elle ouvrait sur toutes les personnes qui roucoulaient devant elle, quand elle ne dormait pas. Ses petites menottes se serraient autour du doigt que je lui présentais et qu'elle suçotait avidement.

- Mary, m'appela Petit Jean.

Je relevai la tête et compris que l'on m'avait parlée. Je haussai les épaules. Le plus n'importe quoi dans cette histoire n'était pas mon idée, mais leur comportement. S'ils parlaient de choses que seuls eux six devaient entendre, pourquoi en parler ici, alors que plusieurs personnes, dont moi, mangeait ?

- J'ai faim, répliqua Petit Jean en surprenant mon regard.

Je réitérai mon mouvement d'épaules. À son ton, sa réponse expliquait tout. Robin soupira doucement, ce qui lui valut un coup de la part de son ami. Constance soupira de cette violence.

- Vous n'aviez qu'à pas être là !

J'eus à peine le temps de rire de sa mauvaise fois qu'Éléonore enchaînait :

- On était là avant vous, c'est vous qui vous êtes installés à quelques pas d'ici. Et vous parlez trop fort.

Stupidement, aucun de nous ne s'était rapproché de l'autre, si bien que la distance d'environ une dizaine de pas était toujours là et que nous parlions si fort que le shérif devait nous entendre depuis ses bureaux à Nottingham.

Décidant de recadrer la conversation, je reprenais mon idée :

- On pourrait essayer. Voyez ça comme une plante en pot. Juste que là, c'est sur du bois.

Much, buté sur son idée, fit la moue et marmonna dans son coin. Résistant à l'envie de poser ma fille dans les bras sécurisants de Constance pour lui envoyer la première chose qui me tomberait sous la main, je m'obligeai à respirer longuement et le foudroyai du regard.

- On pourrait essayer, répétai-je. Et puis, vous n'avez pas d'autres solutions.

Mon argument les attrapa comme un poisson sur un hameçon et je souris, satisfaite. Certes, c'était... démentiel de proposer cela, et le regard qui me traitait de folle d'Allan avait probablement raison. Mais je voyais les choses en grand, c'était tout. Quitte à être dans les airs, autant y être au maximum.

- Le transport de l'eau ne sera pas un problème, on la transporte du lac jusqu'aux champs – cela ne changera pas d'avant – et on la montera grâce aux poulies. Quelqu'un en bas, quelqu'un en haut, et le tour est joué.

Robin des BoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant