57 - Robin

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 Elle me détestait. À son tour. Elle ne voulait plus entendre parler de moi. Ces mots résonnaient en boucle dans ma tête. Ils ne s'arrêtaient pas.

Elle me détestait. Elle ne voulait plus entendre parler de moi. Comme je l'avais fait avec elle...

Elle me détestait. J'avais besoin d'elle. Elle était mon oxygène, ma raison de vivre. Ma femme...

Elle me détestait. Et je ne pouvais rien y faire. Elle ne voulait même plus m'écouter... Elle ne voulait même plus me voir.

Elle me détestait. Elle m'en voulait pour ce que je lui avais fait. À juste titre ! Mais je voulais tant me rattraper... Je voulais tant me faire pardonner...

Et elle me détestait. Sans chercher à comprendre. Une parfaite inversion des rôles. Un parfait retour à l'envoyeur. C'était moi qui avais commencé ainsi, c'était moi qui avais déclenché tout ceci, c'était moi qui l'avais blessée. Je payais mes actes.

Et elle me détestait tant. Je tanguais. Droit devant moi. Je n'arrivais pas à avancer droit. Je tanguais. Je n'arrivais à rester sur mes deux jambes. Elle était mon ancrage... Mon pilier.

Et elle ne voulait plus de moi. J'avais mal. Si mal. La même douleur que quand j'avais perdu ma famille. Mon frère, ma mère, mon père. Je n'arrivais plus à respirer. Mes larmes me noyaient.

Et elle me détesterait toujours plus. J'étais juste à côté du camp. Juste à côté de sa fille. Que je devais protéger. Mais comment la protéger si j'étais incapable de marcher ?

Je ne pourrais pas vivre sans elle. Je m'effondrai, dans l'herbe, mariée à la terre. Eux, ils resteraient toujours ensemble.

J'avais besoin d'elle ! Je poussai un hurlement, enfouissant mes mains dans mon visage. Je m'arrachai les cordes vocales. Je hurlai ma douleur à la Lune. Je hurlai ma solitude aux étoiles. Je leur disais tout...

- Robin ! Robin !

Elle était partie... Elle m'avait laissée. Elle tournait la page. Elle n'avait pas besoin de moi. Elle n'avait jamais eu besoin de moi. Elle avait toujours sans mon aide.

- Robin, Robin, qu'as-tu ? Mon Dieu, dis-moi ce que tu as !

Ce n'était pas mon cas... Sans elle... Sans elle, je ne pouvais pas. Les mains de mon frère relevèrent mon visage noyée de larmes. Je laissai mon front retomber sur son épaule et pleurai tout mon soul, ses bras se refermant, protecteurs, autour de ma personne isolée.

Et elle me haïssait tant.

Je ne savais pas. Et je m'en fichais pas mal du temps qui passait. Je m'en fichais de savoir combien de temps s'écoulait sans sa présence. Je ne mangeais plus beaucoup. Je le savais ; James s'inquiétait à ce sujet et essayait de me faire avaler quelque chose, en vain. Je n'avais pas faim. Je voulais juste rester dans mon lit, cherchant un peu de sa présence.

J'avais trop chaud sous les couvertures qui n'avaient plus son odeur depuis longtemps. J'avais trop chaud mais je n'avais pas envie de faire un geste pour en enlever. Alors je restais sous cette chaleur qui ne réussissait pas à me réchauffer totalement.

Un bol fumant de soupe attendait à côté de moi, roulé en boule dans le lit. Seul, lui aussi. Je n'allais pas le manger, ou que très peu. James ou Mathilde le récupérerait, ils soupireraient, et tenteraient de me convaincre de manger plus. Je ne répondrais pas.

Quelqu'un entra. Je ne voulais pas savoir qui c'était, sauf si c'était elle. Sauf si c'était Marianne. Qu'est-ce que j'en avais à faire qu'ils viennent tous me voir, inquiets ? Ils ne pouvaient rien faire. Rien. Ils ne pouvaient pas m'aider...

Elle me détestait.

Je sentis les larmes monter à nouveau. Bon sang... J'avais besoin d'elle... J'avais trop mal, sans elle. J'étais abandonné dans un monde qui ne me faisait pas envie.

- Robin, murmura James. Vas-la voir. Fais-toi pardonner...

Je ne répondis pas. Juste mes larmes, qui pleurèrent, seules. Que pouvais-je dire ? Qu'elle ne voulait plus me voir ? Je le savais déjà, et lui aussi. Le dire reviendrait seulement à remuer la douleur. Je ne pouvais rien faire pour changer cela. Je le méritais même. Pour expier la souffrance que je lui avais provoquée.

James soupira, embrassa mon front, me murmura de manger un peu et partit.

Seulement quelques minutes après, la porte se rouvrit, et je grognai intérieurement. Je voyais bien Will me citait de haut en bas les raisons pour lesquelles je devais me nourrir, appuyé de Petit Jean qui me menacerait si je ne leur obéissais pas. Je n'avais pas envie de me battre.

L'on grimpa sur mon lit, et le petit corps d'Aurore se nicha contre mon torse. Sa joue posée sur l'oreiller, elle me fit un grand sourire. Comment pouvait-elle être aussi consciente de la souffrance qui me possédait ? Elle aurait dû jouer tranquillement, être insouciante. Continuer à être heureuse... Pas s'inquiéter pour moi, la personne qui devait la protéger pour obéir aux souhaits de sa mère...

Elle porta sa petite menotte sur ma barbe que je n'entretenais plus, et rit quand les poils drus lui grattèrent la paume. Un mince sourire naquit sur mes lèvres. S'en rendant compte, elle sourit encore plus fort et continua à me changer les idées, essayant seulement de m'embêter pour que j'arrête de penser à sa mère.

Pour Aurore, j'allais le faire. Pour cette petite fille atrocement mignonne qui gazouillait près de mon oreille, qui me grimpait dessus. À cheval sur mon dos, alors que j'étais tranquillement allongé sur le ventre, elle s'accrocha à mon cou, me criant dans les tympans. D'un bond, je me redressais sur mes mains. Le secousse la fit éclater de rire. Faisant attention à ce qu'elle ne chute pas sur le sol, je la fis tomber de mon dos, augmentant l'intensité de son rire.

Ses yeux verts se posèrent sur moi, souriants, avant de s'orienter sur la silhouette de Much qui entra dans la cabane. Adossé au chambranle de la porte, il nous observa jouer.

- Je comprends pas pourquoi tu ne vas pas la voir... désespéra-t-il. Ce soir, tu te prépares, on sort.

Et sans me laisser le temps de bien comprendre, il nous quitta comme il était apparu.

Robin des BoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant