Chapitre 47 : Cornaline

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Point de vue de Sofia

« - Pourquoi êtes-vous là ? »

Cette question froide et sans équivoque nous stoppa net dans la contemplation des lieux si austères et lugubres. Si grandioses et bruts. Dans la contemplation de sa venue.

Agathe était apparue devant nous, sceptique et majestueusement calme. Une lueur téméraire et audacieuse ruinait ses pupilles autrefois innocentes et chastes. J'avais dû mal à reconnaître l'amie qui avait partagé cinq ans de ma vie.

Je faisais inéluctablement face à une tout autre personne énigmatique et influente. Qu'était-elle devenue ? Qu'avait-elle vécu ici ? Mon instinct m'avait crié de la retenir lors de son premier et unique retour. J'avais perçu une profonde détresse accentuée par des marques bleu ciel sur sa peau. J'aurai dû l'empêcher d'y retourner. J'aurai dû insister.

Je savais éperdument qu'elle me mentait lorsqu'elle m'avait murmurée que tout allait bien. Ses yeux, éteints de toute joie, m'avait implorée de ne pas persister. De ne pas m'acharner pour savoir la vérité. Elle n'était apparemment pas prête à la raconter, comme si une immense et effrayante honte la hantait.

Mais j'aurai dû la brusquer. C'était de mon devoir en tant qu'amie et j'avais failli à la tâche. Misérablement.

Je le savais. Cela me sautait, à cet instant, aux yeux. Comme une rose noire fanée dans un bouquet de roses rouges. Quelque chose s'était perdu. Terni en elle. Et le mur infranchissable qu'elle avait construit m'empêchait d'apercevoir cette destruction interne qui la rendait encore plus forte. Encore plus puissante.

La Agathe que je connaissais était morte. Et enterrée. C'était désolant. Douloureux.

Comment pouvait-on transformer une innocente jeune femme en indomptable guerrière ?

« - Nous avons besoin de ton aide pour exterminer une maladie propagée par des démons, déclara Loan. »

Lui aussi semblait perdu et intimidé, ne reconnaissant nullement son ancienne amante qu'il regrettait amèrement. Plusieurs mois s'étaient écoulés avant qu'il n'accepte son destin. Sa destinée qui l'éloignait d'Agathe et qui le rapprochait d'une Elizabeth au caractère flamboyant. Impardonnable.

Et je remarquai dans les prunelles de Loan des fragments éparpillés d'un intérêt grandissant mal réprimé. Comme si la femme indépendante qui lui faisait face, presque avec affront, l'envoûtait d'un charme mystique. Et il ne semblait pas le seul homme intrigué à la regarder avec insistance. Sa beauté faisait des ravages.

Elle était devenue une femme inaccessible qui enviait le cœur des hommes.

L'annonce de l'existence de démons ne semblait pas la perturber. Ni l'ébranler. Comme si elle savait déjà que la magie existait, accompagnée des ténèbres.

« - Agathe, pouvons-nous discuter dans un lieu plus intimiste ? Reprit Ramir, interloqué. »

Un homme mystérieux et caché par une cape vint lui murmurer quelques mots à l'oreille et elle nous fit signe de la suivre dehors malgré la tempête hivernale qui semblait s'abattre sur la ville.

Je lui emboîtai le pas, tout en l'observant se mouver avec grâce et détermination dans les couloirs, les gardes relevant le menton à son passage. Tel un signe de soumission. Ou de fierté. Je n'en savais rien.

Agathe marchait dans ses lieux comme s'ils lui appartenaient. Et c'était déstabilisant. Impressionnant.

Une fois dehors, le froid congela mon corps qui se remit à trembler inéluctablement, mes lèvres bleues asséchées recueillant des flocons de neige. Je croisai les bras sur ma poitrine, tentant en vain de me réchauffer, mes dents s'entrechoquant entre elles.

Empires II : ConquêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant