Chapitre 35 : Drapeau blanc

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Je devais informer les Suprêmes de passer à la phase B de notre stratégie, pensais-je en mettant le pied à l'étrier de mon cheval.

C'était inévitable.

Je n'arriverais pas à convaincre Azgar de suivre le plan de son plein gré. Et je n'avais pas envie de me battre avec lui sur ce terrain glissant de la parole. Je passais directement à l'autre option : la force.

Je n'étais pas d'humeur à parlementer avec cet homme qui me servait de mari. Avec cet homme qui allait me mettre des bâtons dans les roues à chaque fois que l'occasion se présenterait. Non pas cette fois.

La diplomatie mettait mes nerfs à rude épreuve et je savais pertinemment que je perdais mon temps avec le Roi Knows. Alors au lieu de le convaincre avec sagesse, j'allais l'obliger à suivre ma stratégie avec ruse et force.

Plaçant mes mains nues sur la selle de l'étalon recouvert de neige, je m'apprêtais à prendre mon élan pour grimper dessus mais je fus rapidement et brusquement ramenée sur terre avec violence.

J'hoquetai, prise au dépourvu tandis que des mains me forçaient à revenir sur le sol. Mon pied glissa de l'étrier et j'attrapai rapidement une lame cachée sous l'amortisseur avant de me retourner, le cœur battant, tout en pointant le métal sous la gorge de l'inconnu.

Mon souffle court s'évapora dans l'atmosphère glaciale de l'hiver et je dus plisser mes paupières pour reconnaître l'homme qui me retenait, le regard aussi sombre qu'une nuit sans lune.

« - Que veux-tu Azgar ? Lâchai-je impatiente en enlevant le poignard de son cou.

- Quel est ton plan ? »

Ces quelques mots crachés à ma figure me piquèrent au vif et en même temps me remplirent d'une joie mesquine. Il mettait sa fierté de côté en me demandant ma stratégie. Ce qui voulait aussi dire qu'il n'en avait pas d'autres et que l'impuissance le gagnait petit à petit.

Pourtant la colère dans ses prunelles refoula très loin cette joie à tel point que je ne ressentis réellement qu'une froide et distante amertume clairsemée de pigments de haine.

Je l'observai silencieusement. Pouvais-je me permettre de tout lui révéler ?

Ses cheveux gras et ébouriffés étaient tâchés de sang séché, de boue et de flocons de neige. Sa barbe de plusieurs jours, laissée à l'abandon, recouvrait une bouche déshydratée et tremblante de rage et de froid. Ses joues rougies étaient parsemées de neige qui fondait, l'eau qui en résultait venant s'affaler contre son armure rouge de sang. Ses sourcils étaient coupés, sa blessure maintenant séchée et croûtée tout comme celle sur son bras et celle sur son menton.

Azgar était salement amoché. L'épuisement physique peignait les traits durs de son visage tirés qui reflétaient aussi une fatigue morale et stratégique.

Pourtant je ne pus m'empêcher de remarquer, des frissons me parcourant à cette simple observation, que ses prunelles reflétaient encore la détermination et le courage d'un soldat aguerri. D'un roi sanguinaire. D'un mari embrasé.

Sa carrure athlétique me faisait face avec affront, m'obligeant à relever le visage vers le sien, ferme. Son torse était soulevé de puissantes respirations, son regard énigmatique me pénétrant de part en part comme son épée aurait pu le faire.

« - Si tu n'es pas prêt à suivre mon plan alors je perds mon temps, déclarai-je dans un murmure que j'aurai voulu sans détour.

- Je ne veux pas te suivre à l'aveugle ! Je ne peux pas tout accepter sans en connaître les détours et les facettes dans les moindres détails ! Ce sont de mes hommes que l'on parle. De mon armée. De mon peuple. De mes responsabilités. »

Empires II : ConquêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant