Les trois premiers jours, Deirane refusa de manger.
On lui apportait la nourriture dans un plat en carton ciré. Beaucoup de nouvelles venues avaient tenté d'utiliser la vaisselle traditionnelle comme une arme, pour agresser leurs geôliers ou pour se suicider.
Le premier jour, elle resta prostrée dans son coin, assise par terre dans un angle du mur. Elle avait ignoré la couchette qui semblait confortable avec son matelas rebondi, en laine certainement, et des draps qui brillaient comme elle n'en avait jamais vu auparavant. C'était peut-être de la soie. Mais elle n'avait pas cherché à l'atteindre. Un siècle plus tôt, ou juste la veille, elle ne savait plus trop, elle avait compris que son fils était mort. On lui avait fait miroiter leurs retrouvailles prochaines, mais en fait il n'était déjà plus de ce monde. Sur le moment, cela avait déclenché en elle une rage profonde, nourrie par une haine pour tous ces gens. Son fils mort. Ils en étaient responsables. Il était si jeune. Son enfant qu'elle avait porté en son sein. Son enfant qu'elle avait allaité. Hester. Plus jamais il ne poserait la main sur sa joue en levant ses yeux bleus vers elle. Plus jamais il ne lui adresserait ses sourires. Elle ne le verrait jamais faire ses premiers pas. À cause de ces monstres. Biluan ! Jevin ! Brun ! Tous ! Elle voulait les voir morts. Elle voulait les faire souffrir autant qu'ils avaient souffert, Hester et elle. Puis elle avait appris la mort de son amie. Et avec, ses espoirs de quitter un jour cet endroit s'étaient envolés. Cette nouvelle l'avait anéantie. Elle était restée longtemps là où elle était tombée, sur le tapis bien épais, avant de se traîner dans un coin où elle passa la nuit. Les lieux étaient luxueux, totalement différents de ce qu'elle avait connu dans les cellules de Biluan – le trafiquant d'esclave qui l'avait capturée et revendu au roi Brun d'Orvbel – mais elle ne le remarqua pas.
Le second jour, elle prit conscience de l'entrée du geôlier. Et elle réagit. Elle balança le plateau à travers sa chambre. Il eut juste le temps de refermer la porte derrière lui pour éviter de le prendre en pleine figure. La jeune femme visait bien, le projectile s'écrasa contre l'huis exactement là où se trouvait son visage un instant plus tôt.
Le troisième jour, elle attendait son visiteur. Il était si prévisible à toujours passer à des horaires fixes, quatre fois par jour. Dans sa chambre, il n'y avait rien qui aurait pu servir d'arme à une personne aussi frêle qu'elle. Il n'y avait même pas un miroir qu'elle aurait pu casser, ou une planche à arracher. La fenêtre ? Peut-être si elle avait possédé de quoi fracasser sa vitre. Le fauteuil qui trônait dans un coin pesait beaucoup trop pour une personne à peine haute d'une perche un quart. Ses solides brodequins de fermière qu'elle portait quand elle travaillait aux champs n'étaient plus qu'un lointain souvenir. Depuis qu'elle était montée à bord de ce bateau maudit, elle mettait le plus souvent des mules en soie. Elle résolut de passer en force. Le gardien qui lui apportait son repas ne s'attendrait certainement pas qu'une femme de sa corpulence tente de s'enfuir de cette façon. Elle se plaça juste à côté de la porte, de façon à pouvoir saisir sa chance dès qu'elle s'ouvrirait. Et elle patienta.
L'homme s'y attendait. Elle aurait dû s'en douter, elle n'était pas la première prisonnière qu'il surveillait. Il avait dû voir toutes les méthodes possibles et inimaginables que les captives avaient mises au point au cours de ses années de services. Quand Deirane essaya de s'enfuir, il l'intercepta avec le plateau qui se répandit sur lelle. La chaleur du velouté lui arracha un cri de douleur, mais comme chaque fois depuis qu'on le lui avait infligé, son tatouage la protégea des atteintes physiques. Il la protégeait de tout, sauf de la souffrance. Une fois de plus, Deirane se retrouva à jeun, mais maintenant elle était sale et endolorie.
Le quatrième jour marqua un changement. Ce ne fut pas son geôlier habituel qui lui apporta à manger. L'homme lui était totalement inconnu. Intriguée, elle le suivit du regard quand il traversa la chambre. Grand et musclé, il avait le teint jaune des habitants du Shacand, les yeux bridés, les cheveux noirs rassemblés en une tresse épaisse dans le dos et une moustache fine et tombante. Il portait la tenue en variation de rouge caractéristique des domestiques du palais, un pantalon bouffant en soie retenu par une cordelette argentée, une tunique écarlate au col droit, brodée de motifs gris argent, et des babouches d'une couleur pâle presque blanche. Il ne portait pour seul bijou qu'une chaîne en argent à gros maillons qui soutenait un pendentif représentant un soleil stylisé. De toute évidence, il jouait un rôle important en ces lieux.
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La chanceuse (La malédiction des joyaux - Livre 3)
FantasyDans les harems, les chanceuses sont ces esclaves qui ont une "chance" de pouvoir devenir maîtresse du roi un jour. C'est le rôle aujourd'hui dévolu à Deirane : se former en attendant le bon plaisir du roi d'Orvbel. Le harem n'est cependant pas cet...