LVII : Le message - (3/3)

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Deirane s'accouda à la rambarde. Elle regarda l'escalier en pierre claire, avec à mi-hauteur la tache sombre du pont basculant. Elle se demanda si la chute l'aurait tuée. Après tout, le sort qui la protégeait avait certainement des limites. Elle ne pouvait pas être invulnérable à tout. Mais elle ne le découvrirait qu'une fois trop tard, quand ces défenses auraient été percées.

Dursun tituba jusqu'à elle.

— Tu crois que tu aurais survécu ? demanda-t-elle en écho aux pensées de son amie

— Moi, je ne sais pas, mais toi non, répondit Deirane.

— Vu le comité d'accueil, je n'aurai pas souffert longtemps.

— Je ne trouve pas cela réconfortant.

Puis son regard se porta vers le large et l'embouchure de la crique.

— À ton avis, ça va marcher ?

— Je ne sais pas, répondit la petite Yriani. Ça me semble fou qu'un tel message puisse parvenir.

— Toutes les autres voies nous sont fermées. Les allées et venues d'Ard sont très surveillées, Naim ne peut plus sortir du pays, l'Helaria a mis sa tête à prix. Il ne nous restait que cette option. Mais j'ai de gros doutes.

— L'hostilité entre l'Helaria et l'Orvbel ne durera pas éternellement. Ne serait-ce que parce que leur flotte, aussi puissante soit-elle, s'avère insuffisante pour les besoins de tout le monde, ils ont besoin de la nôtre. Un jour, des Helariaseny remettront le pied en Orvbel.

— Les stoltzt et les edorians bénéficient d'une vie très longue. Ils ne pensent pas comme nous en termes de durée. Cela pourrait se produire bien après notre mort.

— Quand le premier Brun s'est emparé de la ville pendant la guerre contre les feythas, c'était à la tête d'une troupe de soldats helarieal, remarqua Dursun. Cela doit compter un peu.

— La première, corrigea Dursun.

— La première ?

— Le premier Brun de la lignée de Brun est une femme. Tu ne le savais pas ?

Deirane l'ignorait en effet. Les livres d'histoire n'en parlaient pas, comme s'ils avaient tenté de gommer ce détail. Mais cela lui paraissait une bonne nouvelle. Cela signifiait que le sexe de son bébé n'avait aucune importance. Elle avait peur que comme pour l'Yrian, seuls les mâles pussent régner. Mais un pays dont la dynastie avait été fondée par une femme accepterait une reine si son enfant devait naître fille. Cela voulait dire aussi que si Brun disparaissait brutalement, elle pourrait exercer la régence le temps que l'héritier pût prendre place sur son trône. Dursun lui avait annoncé la meilleure nouvelle de la journée.

Dursun se colla contre Deirane. Elle ne savait pas si c'était parce qu'elle avait froid. En tout cas, elle trouvait ça réconfortant.

— Tu as une idée de ce que tu feras si ça marche ? Tu t'enfuiras ?

— Non.

— Non !

Dursun était surprise.

— Avant de partir d'ici, je veux tout foutre en l'air. Mettre fin au trafic d'esclave, au harem et à tout ça.

— Ça risque de prendre du temps. Le système existe depuis soixante ans.

— Davantage. Les stoltzt qui ont créé ce royaume l'ont mis en place il y a plus d'un siècle. Mais plus personne ne m'attend dehors. Je ne suis pas pressée.

Des bruits de pas interrompirent la discussion. Elles se retournèrent à temps pour voir trois femmes arriver. Nëjya, Sarin et Cali. La peintre était emmitouflée dans une grande cape alors que la danseuse allait presque nue. Deirane l'avait déjà vue exercer son art et savait donc à quoi elle ressemblait. Mais c'était la première fois que Dursun la voyait ainsi habillée. Sa première réaction fut la surprise de découvrir qu'une personne de son âge pouvait posséder un corps pareil. Était-ce l'effet de la danse sur le vieillissement ? Ou le fait qu'elle n'avait jamais porté d'enfants ? Instinctivement, elle se redressa et gonfla la poitrine.

La chanceuse (La malédiction des joyaux -  Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant