VIII : Pour une poignée de drirjety

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Quand Naim se présenta à l'accès ouest d'Elvangor, le soleil était au zénith. Elle avait dû faire un détour de deux jours pour entrer au Lumensten par le nord puis revenir depuis l'intérieur de la province. Elle ne voulait pas qu'on la soupçonnât de venir d'Orvbel. Elle aurait aussitôt attiré la méfiance, voire se serait fait arrêter. Les portes de la ville étaient ouvertes, mais elles étaient surveillées. Un petit groupe d'hommes interrogeait tous les voyageurs qui se présentaient. Un endroit comme Elvangor requérait un approvisionnement constant en vivres. Chaque jour, une quinzaine de chariots amenaient farine, viande et légumes nécessaires pour nourrir les quelques milliers d'habitants. Et cela sans compter les autres denrées indispensables à son fonctionnement, telles que le bois ou la pierre de construction. Aussi tard dans la matinée, la file d'attente n'était plus très longue. Mais elle progressait lentement.

En s'approchant, elle surveillait les gardes. À première vue, tout semblait normal. Leur tenue était hétéroclite, aussi bien leurs vêtements que leurs armes. Les chefs de guerre qui contrôlaient la province équipaient rarement leurs recrues. Elles venaient avec leurs propres matériels, sauf les troupes d'élite qui disposaient du meilleur fourniment possible. Mais elle ne s'était pas déplacée jusqu'ici pour se contenter d'une première impression. Elle devait en savoir un peu plus.

Déjà, ces sentinelles étaient étranges. Certes, ils ressemblaient à n'importe quel hors-la-loi. Mais ils ne réagissaient pas exactement comme tels. On aurait plutôt dit des soldats qui cherchaient à se faire passer pour des brigands. Leur fouille lui paraissait trop méthodique. Une ville en état de siège permanent prenait toujours des précautions. Mais jamais à ce point. Et puis, ces brigands-là n'arboraient pas les bijoux qu'ils avaient dérobés lors de leurs rapines ou confisqués aux voyageurs trop imprudents pour les dissimuler avant de se présenter au contrôle. Tout au moins pas autant. Enfin, les armes semblaient de trop bonne qualité. Les lances possédaient un manche parfaitement droit, sans défaut, et la pointe taillée avec soin paraissait tranchante. Leurs autres pièces étaient tout aussi bien manufacturées.

Elle avait l'impression d'avoir affaire à une armée entraînée. Serait-ce un groupe de mercenaires qui se serait emparé de la ville ? Cela n'aurait rien eu d'étrange. Il arrivait que certaines troupes, lassées de parcourir l'Ectrasyc dans tous les sens, où tout simplement en manque de travail, décident de se créer leur propre domaine. Le Lumensten était l'endroit idéal pour ça. Les royaumes indépendants étaient soit trop forts, soit avaient passés des accords de défense avec des alliés puissants. Mais dans cette province, contrôlée par les chefs de guerre, personne n'irait contester la prise de pouvoir. Et surtout pas l'Helaria qui voyait d'un bon œil que ces criminels se détruisent mutuellement. Même, les mercenaires étant à l'origine des formations légales, il n'était pas impossible qu'à terme ils reconnussent la souveraineté de l'Helaria. À petite échelle, cela s'était produit pour le Kushan.

Le tour de Naim arriva. Le garde l'intercepta.

— Halte là, demanda-t-il, qui es-tu ?

— Naim. Je viens de Tolos, en Nayt.

L'homme l'examina, s'attardant un moment sur sa poitrine. Mais en professionnel, son attention se porta tout particulièrement sur l'épée accrochée dans son dos.

— Tolos, ce n'est pas la porte à côté.

— Mille quatre cents longes, répondit-elle.

— Je dirais plutôt deux mille. Que viens-tu à faire à Elvangor pour entreprendre un si long voyage ?

— Je cherche du travail.

— Nous disposons de tous les soldats qu'il nous faut ici, mais si tu sais vraiment te servir de ça, tu peux quand même tenter ta chance à la caserne.

La chanceuse (La malédiction des joyaux -  Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant