XXVI : Les deux frères

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Brun, roi d'Orvbel, Seigneur lumineux mille fois béni des dieux, était assis à son bureau, dans son cabinet de travail. Il semblait calme. Ses mains démentaient cette impression, elles détruisaient méthodiquement un petit objet en terre, le réduisant en poussière. Son regard était braqué sur Jevin, nonchalamment installé dans un fauteuil face à lui. Quand il eut achevé sa tâche, il fit glisser d'une main le produit de son œuvre dans l'autre, puis il se leva jusqu'à une plante dans le pot de laquelle il vida tout. Le prince l'avait suivi des yeux, puis s'était retourné pour ne pas le perdre de vue. Au lieu de rejoindre sa place, Brun s'adossa au mur.

— Que vais-je faire de toi ? demanda-t-il.

C'était une question rhétorique, Jevin n'y répondit pas.

— Tu n'es de retour que depuis quelques douzains et le palais est en ébullition. Ma mère me tombe dessus, mon chef des eunuques me remonte les doléances des concubines. Et jusqu'à des servantes qui ont osé affronter ma colère pour se plaindre de toi.

— J'ai bien le droit de m'amuser un peu entre deux missions, rétorqua Jevin.

— Pas n'importe comment mon frère ?

— Ce ne sont que des esclaves.

— Mais même eux doivent être traités correctement. Si la seule récompense de la journée est de se faire violer et frapper, qu'est-ce qui les motive à travailler ?

Brun retourna à son bureau d'un pas vif.

— Mais qu'est-ce qui t'a pris ? Pourquoi as-tu déconné comme tu l'as fait ?

Le ton de Brun était fortement monté dans les volumes, la colère avait enfin explosé.

— Tu parles de cette Deirane ?

— Serlen. Elle s'appelle Serlen.

— Serlen ou Deirane, qu'importe. Elle m'a provoqué.

— Elle t'a empêché de mettre ma parole en défaut.

Jevin ricana.

— Ta parole à une esclave. Qu'est-ce que ça peut bien faire ?

— Ma parole est la même pour tous, esclave comme empereur. Sinon elle n'a aucune valeur.

L'idée semblait amuser Jevin, mais la prudence le retint de l'exprimer trop ostensiblement. Il refréna son sourire.

— Cette esclave, je te le rappelle, agit en dehors du royaume, en totale autonomie, sans surveillance. Une seule chose l'empêche de nous trahir : elle pense que sa sœur vit en sécurité au sein du harem, qu'elle reçoit la meilleure éducation que ce monde puisse fournir et qu'à l'âge adulte elle deviendra une femme libre.

Le chef mercenaire suivait son frère du regard. La fureur qui en émanait n'était pas pour le rassurer. Jamais il ne s'était emporté comme ça contre lui. Et aujourd'hui Dayan n'était pas présent pour exercer son effet modérateur sur Brun.

— Je possède soixante-seize concubines et il a fallu que tu t'en prennes à celle que je protège personnellement. Une fillette. Elle a quatre ans. Il s'en faut de quatre ans qu'elle commence à devenir une femme. Je te connaissais beaucoup de défaut. Mais là, tu as touché le fond. Et après tu es allé trouver Deirane, mon acquisition la plus précieuse.

— Vous m'avez pris mon esclave personnelle. Vous n'en aviez pas le droit.

Jevin regretta d'avoir prononcé ces mots. Ils donnaient l'impression qu'il n'était qu'un enfant geignard à qui on avait retiré son jouet. Ce qui était un peu le cas finalement, c'est juste la nature des jouets qui avait changé.

La chanceuse (La malédiction des joyaux -  Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant