XIII : Les leçons du harem - (1/2)

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La présence de Naim à leur côté avait complètement changé la vie de Deirane. Discrètement, elle entraînait le petit groupe, y compris Nëjya, au combat. Se trouvant un coin au fond du jardin, pas très loin de l'endroit où la Samborren s'était réfugiée après son passage à tabac, elle leur apprenait à se défendre. Comme toute bonne guerrière qui se respectait, quand elle était en mission, elle cachait une dague dans la tige de sa botte. La lame en silex poli, le manche en bois huilé, elle était magnifique malgré la faible valeur des matériaux. Mais elle avait été obligée de laisser ses armes à l'entrée du harem. Elle leur apprenait donc à se débrouiller avec les moyens du bord. Le combat de rue comme elle l'appelait, consistant à utiliser tout objet à proximité.

L'entraînement était réglé comme un rituel. Tous les jours après le deuxième repas, quand tout le monde était ensuqué par la chaleur et la digestion, elles s'éclipsaient jusqu'à leur arène improvisée. La séance commençait invariablement par une série d'exercices physiques destinés à raffermir leur musculature. Seules Nëjya, Sarin et Dovaren étaient adultes et pouvaient suivre Naim à fond dans son entraînement. Pour les autres, Deirane incluse, elle adaptait les efforts pour ne pas entraver leur développement. Comme le fit remarquer Dovaren un jour, cette entrée en matière leur permettait de garder un corps svelte et leur donnerait avec le temps un avantage sur leurs compagnes plus indolentes. Elle n'avait pas tort. Naim savait que de son côté Mericia entraînait sa faction de la même façon. Sans qu'elle s'en formalisât, elle s'était aussi rendu compte que quelques concubines indépendantes suivaient ses entraînements. Tout le contraire de Larein qui donnait à ses troupes un entraînement quasi militaire et n'acceptait personne d'étranger en son sein. Mericia et Larein étaient toutes les deux dangereuses, mais Mericia était toutefois bien plus policée. Quant à Lætitia, Naim n'avait pas trouvé l'endroit où elle pratiquait ses exercices, mais il était impossible qu'elle gardât longtemps une silhouette comme la sienne si elle se contenait de paresser au soleil et de dormir. Il restait cependant une bonne moitié des concubines qui ne faisaient aucun effort et Naim s'attendait à ce que quelques-unes, rassurées par la douceur de Deirane, vinssent se joindre à elles. Cela n'était pas encore le cas, mais elle était persuadée que cela viendrait.

Une fois cette série d'exercices terminée, la Naytaine leur accordait quelques stersihons de repos pour reprendre leur souffle avant d'enchaîner sur la suite. Puis, sous sa supervision, elles découvraient toutes les façons qu'une femme avait de protéger sa vertu quand elle ne disposait d'aucune arme. Nëjya se montrait la plus enragée, elle apprenait plus vite que les autres. Quand au bout de trois jours seulement, elle parvint malgré son petit gabarit, à mettre Dovaren à terre, elle ne put retenir un cri de victoire. Deirane au contraire, restait à la traîne. Mais ce n'était pas la motivation qui lui manquait. En un an à peine, elle avait été torturée, violée, son fils et son compagnon lui avaient été retiré. Ce qui la retardait c'était sa faiblesse et sa petite taille. Si elle voulait se défendre efficacement, elle devait compter sur la technique plutôt que sa force. Et pourtant, son tatouage le préservait contre pas mal d'agressions. Elle s'était dit que ce serait une bonne idée d'explorer le périmètre de protection qu'il apportait. Mais, plus tard. Et en attendant, elle n'hésitait pas à foncer, à prendre des coups. Mais avec un succès mitigé. Elle n'était toujours pas capable de se défendre efficacement.

Cette période ne dura malheureusement pas. Au bout d'un douzain, Naim repartit en mission, l'entraînement cessa faute d'instructrice. Elles essayèrent bien de se débrouiller seules. Mais elles se rendirent vite compte que ce n'était pas efficace. Sans guide, elles n'apprenaient plus rien. Elles se contentaient de répéter les gestes que leur avait montrés leur professeur, sans même être sûres que ce qu'elles faisaient servait à quelque chose. C'est la motivation de Nëjya qui les poussait à continuer. Sans elle, elles auraient déjà abandonné.

C'est en rentrant d'un de ces entraînements improvisés qu'un jour Deirane tomba sur un eunuque. En ce lieu, cela n'avait rien de surprenant. Elle allait l'esquiver sans y penser, mais il l'interpella.

— Serlen ? demanda-t-il.

Encore peu habituée à ce nom, elle ne réagit pas de suite.

— Chanceuse Serlen ? insista-t-il.

— C'est bien moi.

— Dame Orellide vous cherche.

— Dame Orellide ?

— La reine mère, expliqua Dovaren qui arrivait juste derrière elle.

— Moi, mais pourquoi ?

— Je ne sais pas, répondit le jeune homme. Elle cherche aussi les chanceuses Dovaren et Dursun.

Deirane éprouva un moment de panique. Elle n'avait jamais eu affaire à elle, pas plus que ses deux autres amies. Elle avait presque oublié son existence. Néanmoins, elle dirigeait tout ici. Elle avait certainement des yeux partout, y compris au fond du jardin. Après tout, si le chef des eunuques était vraiment son amant, comme le disait la rumeur, elle avait à sa disposition un réseau d'espions terriblement efficace. La vieille femme avait dû apprendre l'existence de leurs séances entraînement. Elle croyait qu'elles s'étaient montrées discrètes, mais le fait est que le messager savait où les trouver pour accomplir sa mission. Et maintenant, la sanction allait tomber.

C'était la boule au ventre que les trois chanceuses se rendirent aux appartements de la reine mère. Il était situé tout au fond du couloir qui faisait face à celui des novices. Dédié aux concubines préférées du roi qui n'étaient pas forcément celles qui contrôlaient une faction, il était luxueux. Il n'avait rien à voir avec le côté spartiate auquel Deirane était habituée dans son aile. Les portes étaient plus espacées, montrant par là que les appartements étaient plus grands, les tapisseries précieuses au mur. Et surtout, aucune dépendance. Chaque appartement disposait de ses propres commodités.

Orellide logeait tout au fond, derrière les doubles battants qui faisaient le pendant à la salle de repos des novices. Outre sa taille, elle était plus richement décorée que les autres. Ce qui était un exploit tant les autres étaient surchargées de dorures. Les trois femmes hésitèrent un moment. Finalement, c'est Dovaren qui se décida. Elle leva la main pour frapper. Mais à ce moment, la porte s'ouvrit. Face à elles se tenait le garde du corps personnel de la reine. Bien qu'âgé – il était de la génération de sa maîtresse –, il était superbe dans son uniforme, torse nu, un pantalon bouffant rouge vif et un long poignard au côté. Son statut était matérialisé par une chaîne en or qui soutenait une émeraude de belle taille sertie au centre d'un soleil stylisé : la couleur de la reine mère au cœur du symbole de la royauté d'Orvbel.

— Dovaren, Serlen et Dursun ? demanda-t-il simplement.

— Oui, répondit la Naytaine.

— Vous êtes attendues.

Il les invita à entrer. Puis il referma la porte derrière elles. Elles remarquèrent qu'il verrouillait la serrure. Pas les grosses serrures qui s'ouvraient au moyen de clefs énormes comme en fabriquaient la plupart des pays du monde, mais ce genre de serrures quasi inviolables que l'on ne trouvait qu'en Helaria. Et d'ailleurs, les symboles sur le barillet étaient gravés dans l'alphabet de ce pays. La clef était légèrement plus petite que l'auriculaire de Deirane, avec une section étoilée à son extrémité. Quand elle tourna dans son orifice, en plus du penne traditionnel, des barres s'enclenchèrent dans le sol et au-dessus de la porte.

La chanceuse (La malédiction des joyaux -  Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant