L'état de Dovaren mit longtemps à être découvert. Le jour même, aucune domestique ne rentra dans la chambre. Elles ne venaient que le matin pour aider les novices à se préparer puis pour nettoyer. Mais comme Deirane et Dursun tenaient compagnie à l'occupante des lieux, elles avaient sauté le tour. Ce n'est que le lendemain qu'elles entrèrent et trouvèrent le corps.
Les hurlements hystériques de l'esclave rameutèrent toutes ses compagnes. Mais une seule eut la présence d'esprit de se mettre à la recherche de Chenlow. L'eunuque ne tarda pas à arriver. Il se fraya un passage dans le groupe de jeunes femmes. D'un air perplexe, il regarda la belle Naytaine. Dursun et Deirane s'étaient surpassées, elle était magnifique. Puis il fit sortir tout le monde. Il verrouilla la porte derrière lui et alla frapper à celle de Deirane.
Avant de parler, il commença par s'asseoir dans le fauteuil qui occupait un coin de la chambre.
— Tu as une idée de ce qui s'est passé ? demanda-t-il.
— Ce n'est pas difficile à comprendre. Elle a assisté au supplice de sa famille.
— Elle a assisté à une mise à mort. Le fait que ce soit sa famille n'entrait pas en ligne.
— À d'autres. Brun connaissait parfaitement leur identité.
— C'est possible. Je constate que tu n'es pas surprise de son décès.
— Les hurlements des domestiques auraient réveillé un mort.
Sa remarque était déplacée. Elle s'en rendit compte juste après l'avoir prononcée. Mais Chenlow ne le releva pas. Pourtant il laissait rarement échapper ce genre de faux pas. Il aurait normalement ajouté « ou une morte » ou quelque chose du même genre. Mais là, il se contenta de soupirer. Deirane le dévisagea. Et pour la première fois, elle le vit tel qu'il était. Non pas comme le chef du harem, maître tout puissant des lieux, surpassé uniquement par Brun et Dayan. Mais comme un vieil homme fatigué qui n'aspirait qu'à prendre sa retraite dans un coin tranquille. S'il pouvait, il emmènerait Orellide. Et elle soupçonnait que la reine mère ne serait pas contre. Il n'avait pas de petits-enfants à regarder grandir.
À défaut, ceux qui habitaient dans le harem pourraient faire l'affaire, si on le dégageait de ses obligations et qu'on le laissait se comporter comme un grand-père. Quoiqu'elle n'en fût pas sûre. Il avait déjà vu deux rois régner, Brun étant le troisième. Il avait vu le harem vivre, les concubines se déchirer. Il avait assisté à des combats dont la violence ne le rendait en rien à envier aux guerres que se menaient les hommes dans le monde extérieur. Tant qu'il resterait dans ce cloaque, il ne pourrait jamais trouver la paix.
Mais il était comme elle, un esclave, prisonnier de cet endroit. Sa retraite, il la prendrait le jour de sa mort, pas avant. Elle éprouva de la pitié pour lui. Et dire qu'elle avait introduit Ard là-dedans. Elle réalisait maintenant à quel point sa démarche avait été égoïste.
Loumäi entra avec le plateau du petit déjeuner. Elle salua l'eunuque, manquant de tout verser par terre. Puis elle le posa sur la table. Elle remplit les tasses de thé. Deirane fit signe à Loumäi d'offrir la sienne à Chenlow qui l'accepta d'un geste de remerciement. Elle donna la seconde à sa maîtresse et prit le verre qu'elle utilisait pour boire la nuit pour se servir à son tour. La jeune femme remarqua que Chenlow n'avait pas quitté des yeux la Salirianer pendant tout son office. Mais elle ne décela aucune concupiscence dans ce regard. C'était plutôt le plaisir qu'il avait à observer une personne joyeuse accomplir son travail. Loumäi était contente d'être la domestique de Deirane. Outre l'avantage que cela lui donnait sur ses compagnes, elle était mieux traitée qu'elles. Elle n'arborait aucun hématome, aucune cicatrice due aux caprices des concubines, elle n'était pas insultée, Deirane ne se montrait ni autoritaire ni coléreuse. Elle avait toutes les raisons d'être satisfaite de son état. Elle était donc la seule personne à chantonner en accomplissant ses tâches et cela semblait réjouir le vieil eunuque.
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La chanceuse (La malédiction des joyaux - Livre 3)
FantasíaDans les harems, les chanceuses sont ces esclaves qui ont une "chance" de pouvoir devenir maîtresse du roi un jour. C'est le rôle aujourd'hui dévolu à Deirane : se former en attendant le bon plaisir du roi d'Orvbel. Le harem n'est cependant pas cet...