Un peu avant le dernier repas, Chenlow les dénicha toutes, installées dans la grande salle de repos de l'aile des novices. Dursun et Elya s'étaient isolées dans leur coin pour travailler les cours de la journée. D'habitude, à cette heure qui précédait le coucher de Fenkys, les chanceuses, parfois accompagnées de Nëjya, profitaient de la fraîcheur du soir pour se promener dans les jardins. Mais ce jour-là, elles n'en ressentaient pas l'état d'esprit. Cette occasion manquée de si peu... Pour tenter de se remonter le moral, Deirane s'était plongée dans un livre qui lui avait été offert lors de son anniversaire : un recueil des textes les plus célèbres de Saalyn. Elle avait composé des chansons pendant six cents ans. Deirane en connaissait beaucoup, mais il y en avait davantage qui lui étaient inconnues.
L'adolescente aclanli les surveillait du coin de l'œil. Elle essayait de masquer le sourire qui venait naturellement à ses lèvres. En fait, elle était ravie qu'elles fussent toujours là. Elle était heureuse de ne pas se retrouver seule dans ce panier de crabes. Un sentiment égoïste qui se disputait avec la tristesse qu'elles aient échouée.
Chenlow entra en même temps que Sarin. Leur arrivée simultanée paraissait toutefois être le fruit du hasard puisqu'elle s'installa sans faire de cérémonie sur une chaise longue, attendant que l'eunuque soit parti pour se joindre à ses amies.
— Jeunes demoiselles, les salua ce dernier.
— Chenlow, lui renvoya Deirane.
Dovaren accusa sa présence d'un simple mouvement de tête.
— Vous voulez me parler ? demanda Deirane.
— Pas à vous, à la chanceuse Dovaren.
La Naytaine releva les yeux, semblant lui accorder un peu d'attention.
— Les gardes rouges vous ont vu hier, dans les jardins. Et dans une tenue qui ne ressemble guère aux coutumes naytaines.
— Elle avait le droit de s'y trouver, contrairement à eux. Et il ne nous est pas interdit de nous promener nues si nous le désirons. Je suis même sûre que depuis sa chambre, le roi doit apprécier ce genre de spectacle.
— Ce n'est pas à vous que je parle, la rabroua-t-il d'un ton sec. Loin de moi l'idée de contester ses droits. Mais une Naytaine, nue, dans un jardin. Un Naytain sort toujours couvert de chez lui. Il n'expose jamais le moindre doigt carré de peau. Quant au spectacle, bien sûr que le seigneur lumineux l'apprécie. De même que moi et tout l'ensemble des eunuques. Ainsi que les gardes de la tour de guet.
Cette énumération fit piquer un fard à Deirane qui baissa les yeux sur son livre. Elle ne s'était jamais rendu compte qu'elle s'exhibait devant tant de gens.
— Nous nous couvrons à cause des poussières de feu qui imprègnent l'atmosphère, expliqua Dovaren, nullement démontée. C'est une question de vie ou de mort. Mais ici, l'air ne transporte pas de poisons, sauf quand le vent du nord souffle ou qu'il pleut. Ça faisait longtemps que j'en avais envie.
— Un fantasme ?
— En quelque sorte.
— Et alors ? Vous êtes satisfaite ?
— Non, c'est pire. Je n'ai qu'un désir, c'est de recommencer. J'ai adoré.
L'air presque extatique qu'elle arbora en prononçant ces derniers mots était convaincant. Peut-être avait-elle réellement apprécié cette expérience.
— Et pour les gardes, reprit Chenlow. Pourquoi les avoir dérangés dans leur travail ? Ne pouviez-vous pas vous tenir tranquille ?
— J'ai paniqué. En voyant ces intrus qui essayaient d'entrer par effraction, j'ai cherché protection auprès des soldats.
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La chanceuse (La malédiction des joyaux - Livre 3)
FantasíaDans les harems, les chanceuses sont ces esclaves qui ont une "chance" de pouvoir devenir maîtresse du roi un jour. C'est le rôle aujourd'hui dévolu à Deirane : se former en attendant le bon plaisir du roi d'Orvbel. Le harem n'est cependant pas cet...