XI : La tendresse selon Jevin

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Une nouvelle venue avait intégré le quartier des chanceuses. C'était une toute jeune fille, d'origine naytaine comme Dovaren. Mais alors que cette dernière était adulte, la nouvelle n'était pas encore entrée dans l'adolescence. Mais elle promettait d'être grande et musclée, à l'instar de beaucoup de ses compatriotes. Elle se montrait timide, n'osant se mêler aux autres pensionnaires, ce en quoi elle ne pouvait lui donner tort. Toutefois, un semblant d'amitié s'esquissa entre elle et Dursun. Et comme la jeune Aclanli s'était beaucoup rapprochée de Deirane depuis la mort de sa sœur, elles finirent par se connaître. Mais cela n'alla pas très loin. Apparemment, le tatouage de son aînée la perturbait. C'est Dursun qui lui permit de mettre un nom sur son visage : Elya.

La fillette suivait comme toutes les novices les cours de l'école du harem. Mais elle avait du mal avec les systèmes d'écriture. Chaque pays disposait du sien. La Nayt et l'Orvbel partageaient le même, mais l'Yrian en utilisait un autre, de même que l'Ocarian. Et l'Helaria en possédait même trois, sans compter ceux hérités des nations stoltzt anéanties par les feythas. Tout individu instruit se devait de connaître trois alphabets, le naytain, l'helarieal et l'yriani. Mais ce dernier, le plus compliqué de tous, lui restait un mystère. Il faut dire que celui de l'Yrian n'était pas à proprement parler un alphabet. Le professeur avait utilisé le terme d'abjad pour le décrire, ce qui signifiait qu'il ne transcrivait que les consonnes et quelques rares voyelles. Ce fait semblait poser des problèmes à Elya. Dursun l'aidait fréquemment dans la salle commune, soit pendant le mitant après l'école, soit comme aujourd'hui en fin d'après-midi.

Voyant son amie en bonne compagnie, Deirane alla se promener dans les jardins. Le soleil commençait à se coucher. L'heure du dernier repas, le plus important de la journée, approchait. Il était temps de rentrer. Plus tard, elle aurait l'occasion de flâner en compagnie de ses amies. Elle se dirigeait vers l'escalier qui menait au grand hall quand elle entendit la voix de Dursun qui l'appelait. Elle s'arrêta et l'attendit. En un instant, les deux jeunes filles la rejoignirent. Elles étaient essoufflées.

— Qu'y a-t-il de si urgent pour que vous couriez comme ça ? demanda-t-elle.

— C'est Nëjya, répondit Dursun.

— Nëjya ?

L'Yriani était étonnée. Après la mort de Gyvan, la Samborren n'avait plus fréquenté les chanceuses. Cette ébauche de relation avait tourné court.

— A-t-elle dit ce qu'elle voulait ?

— Non. Elle est derrière le grand arbre, au nord, contre le mur.

— Mais que fait-elle là-bas ? Il n'y a rien, aucun banc. Que des buissons.

— Je crois que c'est important.

Le parc était immense, elles mirent presque un calsihon pour atteindre l'arbre en question. Il n'était pas très haut, mais le diamètre de son tronc était impressionnant. Une dizaine de personnes suffirait à peine à l'entourer. Derrière lui, d'épais buissons masquaient le mur qui séparait le jardin du harem de celui des domestiques. Mais elle ne vit aucune trace de Nëjya.

Ce furent les sanglots qui la guidèrent. En les suivant, elle dénicha un trou dans les fourrés, juste assez large pour laisser passer un être humain. À quatre pattes, elle s'y glissa. Au fond, elle trouva la belle Samborren, prostrée, en train de pleurer. Elle était à moitié nue, elle ne portait plus qu'une jupe courte plissée couleur sable, le petit haut qui l'accompagnait ayant disparu. Sa peau était écorchée par les épines des buissons. Mais les hématomes qui marbraient son corps et le visage tuméfié avaient eux une origine humaine. On l'avait battue.

— Nëjya, l'appela doucement Deirane.

Elle tourna son seul œil ouvert vers la novice, mais ce fut son unique réaction. Deirane posa la main sur l'épaule de la jeune femme. Mais ce geste, au lieu de la réconforter produisit l'effet inverse. Elle s'écarta, elle ne voulait pas qu'on la touchât. Mais cela ne ressemblait en rien aux réflexes de rejet que Deirane éprouvait quand elle avait été violée par cette bande de hors-la-loi. Elle avait été battue avec une violence extrême, mais son agresseur semblait n'être pas allé plus loin.

La chanceuse (La malédiction des joyaux -  Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant