XVIII : La réception - (2/3)

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De toute évidence, les deux marchands avaient reçu des instructions sur le protocole en vigueur. Ils s'étaient placé côte à côte au milieu de la pièce, face à la porte, un genou au sol enfoncé dans le tapis épais, la tête tournée vers le bas. Leur suite, trois hommes et une femme, formait une ligne derrière eux, également agenouillée.

Brun s'avança, Deirane calqua sa démarche sur lui. La distance à laquelle il s'approcherait témoignerait de l'estime en laquelle il tenait ses interlocuteurs. Pour de vulgaires marchands, il y avait fort à parier qu'il resterait assez loin d'eux. Et elle avait raison. Il laissa au moins deux perches entre lui et eux.

— Relevez-vous mes seigneurs, les invita-t-il.

— Le Seigneur lumineux nous fait une grande joie en nous honorant de sa présence, nous qui ne sommes venus ici que pour commercer.

— Cette rencontre n'a rien d'officiel. Aujourd'hui, il n'y a ni roi, ni prince, ni marchands. Juste des égaux qui veulent passer une soirée agréable tous ensemble.

Deirane espéra pour ces hommes qu'ils avaient été correctement formés. Ces paroles étaient celles que l'on attendait de la part d'un roi d'un pays civilisé. Mais en réalité, Brun escomptait bien qu'ils respectassent le protocole dû à son rang. Tout au moins, jusqu'à ce que les négociations commençassent. À ce moment, pris dans le jeu, le roi oublierait toutes ces bêtises.

Pendant que les politesses continuaient, Deirane porta son attention sur la femme. Ard lui avait expliqué que leur condition dépendait du dieu au pouvoir en Nayt. Si c'était l'archiprêtre du dieu noir, le bénéfique, elles pouvaient atteindre de hautes responsabilités, presque à l'égal des hommes. Mais quand Deimos régnait, elles se retrouvaient cantonnées aux tâches domestiques. La comptabilité faisait partie de ces dernières. Sa présence ici n'avait donc rien d'anormal. Elle ignorait d'ailleurs si c'était Deimos ou Meisos qui régnait.

La Nayt était un État bien étrange. L'archiprêtre qui régnait était celui qui honorait le dieu vénéré par le plus de fidèles. Par certains côtés, c'était la population qui choisissait son dirigeant et la politique qu'il allait mener. La Nayt sortait d'une longue période de guerre, qui avait grandement contribué à la richesse de l'Orvbel. Ses habitants aspiraient à la paix, il y avait de fortes chances que Meisos régnât maintenant à la tête du pays. Mais elle n'en était pas sûre. Elle savait peu de choses sur ce qui se passait hors de chez elle. Et à vrai dire, jusqu'à ce qu'elle fût enlevée, elle s'en fichait. Ce n'est que tout récemment qu'elle était devenue avide d'informations.

En tout cas, les marchands étaient quasiment tous des adeptes du dieu noir. Les autres n'auraient pas supporté de sortir de Nayt et de voir ce qu'ils considéraient comme des hérésies et des péchés partout autour d'eux. Ces deux-là devaient donc en faire partie aussi. Elle songea soudain qu'elle n'avait jamais demandé à Dovaren qui elle honorait dans ses prières. C'était, dans ce harem, son amie la plus proche et elle ignorait tout de sa foi et de ses croyances.

Le plus jeune des marchands, en voyant Deirane entrer, ouvrit grand ses yeux d'étonnement.

— Seigneur Lumineux, demanda-t-il, puis-je parler avec votre épouse ?

— Ce n'est pas à moi de lui dire avec qui elle peut parler, répondit le monarque, je suis maître de son corps, pas de son esprit.

Il sortit quelque chose d'une poche de sa robe, suffisamment petit pour tenir dans la main fermée. Deirane ne put voir ce que c'était.

— Il y a deux ans, j'ai commis un péché effroyable. Je me suis confessé au prêtre de mon village. Il m'a donné l'absolution, mais à une condition : que je me débarrasse du bien le plus précieux que je possède pour en faire don à une femme que j'en jugerai digne.

La chanceuse (La malédiction des joyaux -  Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant