LGDC Tragédies ~ Cycle 2 : Spirale ~ Tome 5 ~ ○ Soleil Noir ○

| Chapitre 26 |

         Etoile Sanglante regardait Vent Mauvais dans les yeux, attendant une réponse. Elle avait osé lui parler, cette fois-ci, et c'était sûrement la meilleure chose à faire. Elle voulait lui poser des questions dont elle aurait voulu avoir la réponse depuis longtemps, mais pour le moment, la seule qu'elle avait en tête était : Pourquoi ? Ils se connaissaient depuis longtemps, maintenant. Elle l'avait connu quelques jours après qu'elle ait ouvert les yeux et il avait fait de son enfance un enfer. 
 « Salut, Etoile Sanglante, » répondit Vent Mauvais d'un ton étonnamment calme. 
  Sans qu'elle ait besoin que Cœur de Suie ne la pousse, elle s'avança un peu plus vers lui, un peu plus assurée que d'habitude. Le regard planté l'un dans l'autre, elle savait qu'elle n'avait pas le droit à l'erreur. 
 « Tu voulais me parler ? » poursuivit le guerrier gris tout en tentant de se montrer amical. 
  Bien qu'elle appréciait l'air — pour une fois — amical de l'ancien chat de la Forêt Sombre, elle préféra paraître sérieuse. 
 « Je voulais te parler seul à seul, déclara t-elle. Viens, on va plutôt parler dans mon antre. » 
  Elle fit demi-tour en direction de son gîte et vérifia qu'il la suivait. Ce dernier la rejoignit à ses côtés. Ils n'avaient jamais été aussi proches physiquement depuis bien des lunes. La meneuse préféra détourner le regard pour ne pas se sentir gêné par sa présence. Les deux félins entrèrent dans l'antre l'un après l'autre en écartant les longues branches de ronces à l'entrée de celle-ci et s'installèrent face à face. Nul ne pouvait les perturber. 
  Vent Mauvais était plutôt nerveux. Il ne savait pas de quoi la femelle mouchetée voulait lui parler, mais il n'y avait rien de drôle dans tout ça, à voir l'humeur de son interlocutrice. Il l'observait, attendant qu'elle dise quelque chose. 
 « Tu voulais me dire quoi, du coup ? » s'enquit-il. 
  Elle prit une grande inspiration. 
 « J'aimerai savoir... pourquoi ? » 
  Voyant qu'il ne comprenait pas, elle reprit : 
 « Pourquoi tu t'en es prit à moi ? Je sais que ma famille a fait du mal à la tienne par le passé mais... Je n'avais rien à voir dans tout ça, moi. Ça m'a fait du mal ce que tu m'a fait. » 
  Elle s'efforça à contenir les larmes d'amertume qui lui brûlait les yeux comme des orties et de continuer à le regarder dans les yeux. Elle se ressassait trop souvent ces douloureux souvenirs. Le matou gris soupira, les yeux dans le vague : 
 « Je voulais juste te faire souffrir et te faire devenir folle, on me l'avait ordonné. J'étais un guerrier de la Forêt Sombre comme un autre, tout ce que je savais faire c'était obéir aux ordres d'Etoile Flamboyante... Et puis, il y a eu un moment où... je me suis rendu compte que je ne pouvais plus te faire de mal. J'avais tenté de défier Etoile Flamboyante. Mais elle avait fait renaître quelque chose que je croyais mort et qui m'avait manipulé quand j'étais en vie. Les morts qui ont suivit après que Flocon Cendré l'ait tué, ce n'était pas moi. La Forêt Sombre s'intéressait à toi particulièrement, je n'ai jamais comprit pourquoi... 
 —  J'ai toujours voulu te faire payer pour ce que tu m'a fait, avoua t-elle en regardant le trèfle à quatre feuilles encore présent près de l'oreille du mâle ardoise. Mais encore une fois, je suis trop faible. Je... t'aimais trop pour ça. Même si j'aurais pensé que tu aurais tué mon second mentor par jalousie. 
 —  J'en étais très jaloux, mais il ne me serait jamais venu à l'esprit de le tuer. Mais bon, Etoile Flamboyante était la Chef de cette Forêt... On était tous ses esclaves. » 
  Elle eut un instant de la peine pour lui. Elle savait qu'elle aurait fait la même chose, à sa place. Il sembla soudain reprendre sa froideur habituelle. 
 « Mais je ne t'ai toujours pas pardonné ce que tu m'a fait, maugréa t-il. Tu m'as menti. » 
  Elle ne se dégonfla pas. Elle se redressa de toute sa hauteur et le toisa durement, puis se radoucit. Elle avait beaucoup de choses au fond de son cœur qu'elle devait lui dire. 
 « Tu as fait des erreurs, j'ai fait des erreurs. Sache qu'il faut être irréprochable pour oser reprocher des choses à qui que ce soit, Vent Mauvais, le tança t-elle. Je t'ai menti, mais tu m'a fait culpabiliser. On peut appeler ça des représailles, en quelques sortes, même si je dois avouer que je les regrette. J'ai beaucoup de regrets, et je suppose que toi aussi. Ce sont tous ces regrets qui font que je me retrouve souvent face à cette rivière et qu'il suffirait que je fasse un pas pour m'y noyer. Mais je ne compte pas tout perdre. Ce serait stupide et égoïste. Un chef de Clan ne peut pas se le permettre... J'ai encore une autre question. Pourquoi disais-tu que tu étais en train de m'aider ? » 
  Vent Mauvais renifla bruyamment pour ravaler ses larmes. Il devait avouer qu'Etoile Sanglante avait raison. Il s'abandonna longtemps à la contemplation du sol de la tanière avant de répondre : 
 « Etoile Flamboyante disait que ça allait t'aider. Je pense qu'elle disait que ça allait t'aider à devenir assez folle pour être manipulable. Elle aurait voulut arriver à ses fins et te rendre responsable de la destruction des Clans. C'est pour cela que beaucoup de choses ont changé depuis ta naissance. La Forêt Sombre voulait que leur guerre soit la tienne et que tu étais destiné à tout abandonner pour les aider. Et avec Victoire, ils seraient capables de s'en prendre à autant de chats possibles tant qu'ils leur obéissent. Tous les Clans doivent être touché par eux, j'en ai bien peur. Enfin, pour en revenir à ta question, j'étais facilement manipulable pour la croire. La vérité est que Victoire m'a rendu ma liberté en me chassant de la Forêt Sombre. Mais si je venais une seconde fois à mourir je disparaîtrais au Néant si je n'ai tué aucun chat. » 
  La noiraude réfléchit. Elle avait là la réponse à beaucoup de ses questions mais était encore dubitative. Elle ne savait que dire. Elle trouvait que ses actes étaient impardonnables, tout de même. Il faut être irréprochable pour reprocher des choses à quelqu'un, se rappela t-elle. 
 « Vent Mauvais ? 
 —  Hm ? marmonna t-il en l'observant toujours indiscrètement d'un regard brûlant. 
 —  Est-ce que tu me pardonnes de ce que je t'ai fait ? » 
  Le matou gris se figea un instant puis afficha un sourire énigmatique. 
 « Je comprends pourquoi tu as fait ça. Je n'ai pas le droit de te le reprocher, alors oui, je te pardonne... Et toi tu me pardonnes ? 
 —  Mh... oui. » 
  Les deux félins regardèrent en l'air, gênés. Etoile Sanglante agita l'oreille en sentant un souffle dans le creux de son oreille. « Dit quelque chose enfin !!! » pestait Cœur de Suie. C'est mieux, le silence, riposta la meneuse noire. « Roh fait pas ta romantique, si tu dis rien, ben il se passera... rien ! » D'accord... Elle se perdit un moment dans son labyrinthe de pensées. Elle cherchait ses mots. Elle accrocha son regard dans le sien pour le faire réagir. 
 « Tu sais, Vent Mauvais... commença t-elle. Ça fait plusieurs lunes que je cherchais à te parler, mais tu me traitais toujours comme une sotte, alors, je n'osais pas. Tu voulais faner les trèfles qui nous unissait mais... tu n'a pas réussi. La preuve, regarde. Il est toujours vert et épanoui... Comme je te l'ai dit, les regrets me rongent de l'intérieur, et je pensais pouvoir les évacuer en faisant couler mon propre sang... Tu avais raison, j'étais sotte. A quoi servent les représailles que je t'ai envoyé ? Elles n'ont pas estompé la douleur, elles n'ont fait que la faire grandir comme une pousse d'ortie. J'aurai certes aimé que mon enfance résonne d'éclats de rire et non de sanglots. Mais rien n'a jamais pu éteindre ma flamme, pas même les larmes. C'est pour cela que je voulais en conclure que... depuis toujours je... je t'observe et... tu m'obstines... Je... je... je t'aime. » 
  Elle baissa la tête en souriant légèrement. Elle avait tout dit. Il la dévisageait et rougissait sous sa fourrure. Il ne savait que répondre.