Le dodu dindon - 2

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— J'espère que tu as réservé une table, dit Malefoy par-dessus son épaule en ouvrant la porte du restaurant.

Harry s'est retrouvé frappé d'épouvante au moins une fois par heure aujourd'hui, mais c'est certainement la plus grosse frappe d'épouvante de la journée. Il n'a pas pensé à réserver – mais c'est samedi soir et le Dodu Dindon est l'un des restaurants les plus chics et les plus en vue de l'Angleterre moldue, alors il est assez certain qu'ils vont se faire jeter. Ce sera sa faute, bien entendu, en dépit du fait que venir ici n'était absolument pas son idée. Il préférerait de loin être à Nando's avec Ron qu'accompagner Malefoy vêtu de sa robe la plus tourbillonnante dans un restaurant moldu qui va être bondé et où il y aura trop de couverts par personne. Malefoy saura sûrement par osmose de snob quoi faire et comment se comporter, si bien que Harry fera un pire Moldu que ce Sang pur hautain et rempli de préjugés.

— Heu, dit-il en suivant Malefoy à l'intérieur. À vrai dire, j'ai...

— Une table pour deux, dit Malefoy quand le maître d'hôtel approche, tout sourire. Au nom de Malefoy.

On les conduit immédiatement à leur table et Harry se détend un peu en découvrant les lieux. Ce n'est pas aussi horrible que ce à quoi il s'attendait. Il n'y a qu'une douzaine de tables, et la décoration rappelle celle d'un pub, avec ses poutres basses et son atmosphère feutrée. Mais :

— Ce n'était pas très gentil de ta part, dit-il à Malefoy.

Celui-ci renifle, déboutonne sa cape et la tend au serveur. Dessous, Malefoy pourrait presque passer pour un Moldu excentrique. Sa robe sans manches a une coupe à la mode, pincée à la taille comme un veston, et dessous on distingue une chemise blanche ample et un pantalon moulé et bien coupé.

Harry se rend compte qu'il est en train de le fixer et s'assoit. Il se planque derrière le menu mais le regarde sans le voir.

— Un apéritif ? demande le serveur quand il revient. Vous êtes prêts à commander ou vous avez besoin de plus de temps ?

Malefoy parcourt rapidement la carte.

— On va prendre le menu Dégustation, je pense, dit-il. Et une bouteille de votre meilleur blanc – le rouge me donne des maux de tête. Et de l'eau pétillante.

— Bien sûr, Monsieur, dit le serveur.

Il reprend le menu de Malefoy, puis celui de Harry, ne lui laissant plus rien pour se cacher.

— Tu es déjà venu ici avant, demande-t-il d'un air soupçonneux alors que Malefoy regarde autour d'eux en tapotant la nappe de ses longs doigts impatients.

— Ne sois pas idiot, dit Malefoy.

Ses doigts s'immobilisent et il hausse les épaules.

— Un restaurant ou un autre, c'est plus ou moins la même chose, je suppose. Je ne vois pas en quoi le service moldu serait bien différent, sauf qu'il risque d'être plus lent et moins efficace. Ça doit être pénible de ne pas pouvoir utiliser la magie.

Le serveur leur amène d'abord l'eau, et puis le vin dans un seau à glace. Il le débouche et le présente à Malefoy qui désigne Harry. Le serveur en verse un ou deux centimètres au fond de son verre et attend. Harry suppose qu'il est censé le goûter, alors c'est ce qu'il fait. Ça a un goût de vin, du coup il hoche la tête et le serveur en verse davantage dans son verre avant de servir Malefoy.

— Oui, c'est clairement du vin, dit-il quand le serveur est parti. C'est grâce au goût que je le sais.

Malefoy a l'air de ne pas savoir s'il doit rire ou non.

— C'est une blague, au cas où tu te poses la question, précise Harry pour faire disparaître l'expression de pitié sur son visage.

Malefoy sourit – ce n'est pas un sourire franc, mais sa lèvre se retrousse et ensuite il a l'air peiné, comme si c'était contre sa religion de sourire à quelque chose que Harry a dit.

— Eh bien, c'est, heu... commence Harry pour dire quelque chose.

Il le regrette aussitôt parce qu'il ne sait pas comment terminer sa phrase et que Malefoy n'a pas l'air décidé à l'aider.

— C'est quoi ? demande-t-il quand Harry s'interrompt totalement et prend une gorgée d'eau.

— Gênant, répond-il en décidant qu'il vaut mieux être honnête.

Ça a l'air d'amuser Malefoy qui se détend sur sa chaise.

— Je croyais que tu avais dit que ça ne le serait pas.

— C'était plus un espoir qu'une promesse. Qu'est-ce que tu nous as commandé à manger ?

Malefoy plissa les yeux.

— Seul Salazar le sait. Un genre de sélection, je suppose. On verra quand ça arrivera. Ça ne peut pas être pire que le poulet d'hier, de toute façon.

— Le poulet était normal ! proteste Harry.

— Oui, sûrement, mais ça m'amuse de te voir t'énerver pour ça, dit Malefoy.

Il prend la fourchette sur la table et l'examine avant de la remettre en place, et puis il déplie et replie la serviette. Il est nerveux, comprend Harry en le regardant s'agiter, et ça éveille en lui une profonde nervosité miroir.

— Alors, de quoi on est censé parler ? demande-t-il.

Malefoy relève la tête de son origami en tissu avec une mine de mauvais augure pour le bien-être futur de Harry.

Heureusement, à cet instant, arrive une paire de serveurs devant la table – l'un a un grand sourire et l'autre un grand plateau sur lequel sont posés deux petits pots de... d'un truc vert. Une vapeur blanche s'en échappe en flottant.

— Le premier de nos seize plats, dit le serveur qui sourit, est une verrine de thé nitro-émeraude et sa mousse de citron vert.

Il retire les deux pots du plateau et les dépose délicatement, d'abord devant Harry, puis Malefoy.

— Bon appétit.

— Il y a du brouillard dans mon assiette, dit Malefoy d'un ton dubitatif quand les serveurs sont repartis. Pourquoi il y a du brouillard dans mon assiette, Potter ?

Harry mange sa verrine en trois bouchées et regrette sa hâte. C'est glacial mais ça fond dans la bouche, et l'amertume du thé vert est contrebalancée par le punch acidulé du jus d'agrume.

— Mmh, dit-il.

Il jette un regard gourmand vers le pot auquel Malefoy n'a pas touché et tend la main, mais il se prend un coup de cuillère sur les doigts.

— On n'est pas au zoo, Potter. Demande avant de piquer ma bouffe, espèce de bourrin.

Il prend une petite cuillérée, vite suivie d'une autre, et encore une autre, et bientôt la verrine est complètement vide.

— C'était... acceptable, admet-il quand le serveur sort de nulle part pour emmener les pots vides.

— C'était délicieux, dit Harry. Je me demande ce qu'il y a ensuite ?

Tatoué sur mon cœur  - DrarryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant