Chapitre 51 (Olivio)

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      Ce voyage est incroyable, chaque matin je m'éveille avec la même admiration pour le paysage qui se dessine à travers ma fenêtre : ces immeubles immenses, tout en verre ou en béton, qui donnent l'impression d'être un gigantesque mur infranchissable, les gens pressés qui marchent comme des fourmis, les routes d'asphalte noir tachées par le jaune canari de ses taxis si mythiques et ce bruit ambiant qui bannit le mot "silence" des adjectifs qu'on utiliserait pour qualifier cette ville. 

"Il y a quelque chose dans l'air de New York qui rend le sommeil inutile." - Simone de Beauvoir 

     Je repousse la literie blanche du lit et me lève d'un pas lent : encore emprunt des vapeurs de mon sommeil peu réparateur : une nuit entière à écrire sur mon ordinateur avec du rap dans les oreilles ne m'aura pas aider à me reposer. J'ouvre les rideaux pour laisser pleinement le soleil entrer dans la chambre et attrape mon téléphone posé sur le chevet, je regarde mes notifications, fais un tour sur les réseaux sociaux avant d'envoyer un message à mon frère pour le réveiller. Je pose mon téléphone et me rends dans la salle de bain pour prendre une douche qui achève de me réveiller complètement, l'eau froide me fait sursauter mais elle devient vite chaude et je laisse ma peau se réchauffer sous le jet tandis que mes muscles courbaturés, par la mauvaise position de cette nuit, se détendent. Je me savonne et ferme les paupières subitement quand du shampoing vient s'insinuer dans mes yeux : brouillant mon champ de vision. 

- Putain ! juré-je en sentant la brûlure du savon. 

     Je passe la main sur mes yeux meurtris mais manque de tomber dans la cabine de douche me tapant la tête contre le carrelage du mur. Je réprime un cri de douleur et coupe l'eau pour sortir de la douche visiblement maudite aujourd'hui, "La matinée commence bien !" Je passe de l'eau froide sur mon visage, finissant de chasser les bulles de savons de mes yeux et me sèche avant de m'habiller. Cet épisode mousseux me met plutôt de mauvaise humeur pour commencer cette journée et c'est d'un pas grognon que je rejoins mon frère dans le hall de l'hôtel pour un petit-déjeuner express : nous sommes déjà en retard. 

- Qu'est-ce que tu foutais ? Ça fait dix minutes que je t'attends ! s'indigne Flo en faisant de grands gestes. 

- Je suis là, je suis là, c'est bon ! Et dix minutes tu exagères, dis-je  

     Il lève les yeux au ciel, totalement conscient de ma mauvaise foi hors normes. Je rumine dans ma barbe et le suis en traînant des pieds comme un enfant capricieux jusqu'au comptoir où chacun se saisit d'un plateau et de couverts. Je me sers sans vraiment faire attention à ce que je compte manger et vais m'asseoir à une table où mon frère me rejoins. 

- Qu'est-ce qu'il t'arrive ce matin ? m'interroge-t-il en attaquant son bol de céréales. 

- Rien, j'ai juste mal dormi, ruminé-je 

- Insomniaque va. 

     Je hausse les sourcils, l'air de dire : c'est l'hôpital qui se fout de la charité et mord dans un croissant mais réprime soudain un cri de douleur. Je viens de me mordre la lèvre, j'applique une serviette sur celle-ci où perlent déjà des gouttes de sang et me dit que cette journée s'annonce vraiment très mal. 

     Nous terminons notre petit déjeuner en vitesse et remontons chacun dans notre chambre pour récupérer nos affaires. Cinq minutes plus tard nous sommes assis à l'arrière d'un taxi dont la banquettes sent fortement les épices et leur propriétaire semble insulter chaque voiture qui ose le doubler sur l'avenue : charmant trajet. Mon frère et moi échangeons quelques regards gênés et je pose mon menton sur le rebord de la portière pour admirer les rues au-dehors, mes pensés vagabondent et retracent l'année folle que nous avons vécu mon frère et moi : je revois la première scène sur laquelle nous sommes montés pour cette tournée, la ferveur du public qui semblait si proche, les photos et les compliments, les larmes et les rires. Je peux encore ressentir les vibrations des basses dans tout mon corps : mon cœur était presque accordé au tempo du BPM, comme s'ils ne faisaient qu'un. Je me remémore les nuits dans le tour bus avec toute l'équipe à jouer aux jeux vidéos ou à juste échanger sur la vie, je me souviens de l'odeur de ma couchette et le son apaisant du moteur, les roues gigantesques qui ont avalés tant de kilomètres. Tout ça me manque. 

     Bien sûr cette tournée a signé aussi la fin d'autres choses : à commencé par Louise. Je brûle encore d'une profonde rancœur mais aussi d'une noire tristesse, je pense même que cette mélancolie dépasse ma colère, elle la range dans une boite au fond de mon être. Je sens encore son parfum sur mes vêtements, le timbre de sa voix suave et son rire, mon dieu son rire magnifique que j'arrivais toujours à faire résonner dans la pièce. Je me souviens de ses caresses et de ses baisers qui savaient comment apaiser mon âme, comment me donner l'inspiration, je me souviens douloureusement de sa main inerte et froide que je tenais fermement : comme si cela pouvait lui insuffler la vie qui était en train de s'échapper d'elle, je me souviens de ses yeux vides quand elle a repris connaissance, de ses amnésies qu'on a toujours réussi à surmonter. Ensemble. Je ne peux pas dire que je l'ai sauvée pourtant une part de moi ne cesse de me répéter que sans moi elle n'en serait pas là, elle n'aurait pas réussi à redevenir celle qu'elle était avant son opération. Je me rassure en fin de compte, égoïstement, parce que j'ai encore beaucoup de mal à savoir qu'elle a tout balayé d'un revers de main sans savoir si moi, j'avais envie que cela se finisse et cette manière. Qu'elle applique de la pommade sur mon cœur meurtri pour mieux le détruire ensuite. 

     Mes pensées s'évaporent en sentant la main de mon frère secouer mon épaule. 

- Vite sors, j'en peux plus de ce chauffeur à la noix, chuchote-il

     Il paye ce dernier avec un faux sourire et s'empresse de me faire sortir du taxi qui redémarre en trombe. Nous traversons la rue pour rejoindre l'entrée du studio et sonnons à l'interphone qui menace de de décrocher de son socle vacillant. Chris, un des membre de l'équipe qui nous accompagne, nous ouvre et chacun se check en échangeant de vagues mots de salutations. Nous nous mettons immédiatement au boulot et après près d'une heure à enregistrer et à écrire je me laisse tomber dans le vieux canapé en cuir qui meuble la salle et ferme les yeux : mort de fatigue. 

- Oli ? Oli ! Réveilles-toi, c'est à ton tour d'enregistrer. 

     J'ouvre soudainement les yeux et acquiesce : un peu déboussolé. Je titube plus que je ne marche jusqu'à la cabine d'enregistrement et sors mon téléphone où est écrit mon couplet. Après quelques exercices d'échauffement, je commence à rapper, me trompe plusieurs fois, grogne et m'énerve. C'est au bout de la cinquième tentative que je sors de la cabine, énervé par ce que j'ai produis. 

     En fin de journée, Flo et moi quittons le studio et au moment même où je passe la porte : des tombes d'eau s'abattent sur New York comme un signe que le sort s'acharne. Je soupire, excédé et lâche : 

- Mais c'est pas vrai !  

     À cet instant, je maudis New York et les énormes nuages qui la surplombent. 

Un dernier départOù les histoires vivent. Découvrez maintenant