Chapitre 76 (Florian)

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- C'est mort je ne monte pas là-dedans ! 

    Oli et l'équipe lèvent les yeux au ciel mais je m'enfiche de passer pour une poule mouillée, ma peur du vide a pris le dessus sur ma fierté. 

- J'irai à pied, lâché-je 

- Flo, tu es en jean basket et il y a je sais pas combien de kilomètres pour rejoindre le point de rendez-vous, monte dans cet œuf et arrête de faire l'idiot, lance Mathieu avec qui je coréalise. 

    "Quelle idée d'aller rapper dans les montagnes !". Je baisse les armes, vaincu et m'engouffre la boule au ventre dans un des œufs censés nous emmener sur un point culminant de la montagne recouverte de givre et de neige. Je me recroqueville dans un coin et ferme les yeux lorsque l'appareil se mit en route, j'entends d'ici les mécanismes de l'appareil bouger et cela ne me rassure en aucun cas, j'essaye de me concentrer sur ma respiration et d'oublier que je m'élève doucement dans les airs dans une machine retenue par une unique câble "Génial." Je sens une présence se rapprocher de moi et poser une main sur mon épaule, je sursaute. 

- Tout va bien Flo, tu n'as aucun raison de t'en faire, assure mon frère 

    À cet instant j'ai juste envie de l'envoyer se faire voir étant dans un état proche de la paralysie, j'ai toujours eu peur du vide et imaginer qu'à cet instant nous sommes en pleins dans les airs met terrifie et me donne envie de stopper le tournage. Nous sommes aujourd'hui venu dans cette station pour filmer mon couplet d'un nouveau morceau issu du prochain album, Oli rappera son couplet demain dans un vieux manoir tout délabré pendant que je ferai le mien sur la montagne, me les pellant dans une grotte de glace. 

- Qui a eu cette idée déjà ? demandé-je en articulant chaque syllabe 

- Euhh, Chill et toi si je me souviens bien, répond mon frère hilare

- Ouais, c'est bien ce que je pensais. 

    "Stupide, stupide, stupide." Je me flagelle de la sorte jusqu'à ce que l'œuf s'immobilise enfin et je m'autorise donc à ouvrir les yeux, éblouie par la lumière du dehors. Nous sortons tous en veillant à ne pas endommager l'équipement vidéo et tout de suite je sens un vent gelé venir me fouetter le visage et me brûler la peau des joues. Je relève ma capuche sur mon crâne profitant de la chaleur de mon blouson avant d'être obligé de l'enlever pour le tournage. Le réalisateur, Mathieu Chill, se dirige vers moi, lui aussi emmitouflé dans son blouson. 

- Bon t'es prêt ? 

- Pas le choix, maugré-je en haussant les épaules. 

   Il fait signe de le suivre et me mène jusqu'à un petit coin où l'équipe s'est installé, dans une cage protégée par le vent et le froid, un corbeau s'agite dans des croassements emportés par le vent. 

- Bon, on va tourner les séquences avec le corbeau maintenant pour pas qu'il soit complètement gelé et après on attaque avec celles de la grotte, explique Mathieu en désignant chacun des endroits. 

   En contrebas je remarque un petit dôme, sûrement là où se trouve la grotte de glace, creusée artificiellement pour plus de sécurité. Je hoche la tête, le visage étant caché par la fermeture de ma veste et me dirige vers l'emplacement de la caméra, retirant ma seule barrière contre le froid, mes baskets glissent dans la neige mais c'est en un seul morceau que j'escalade le petit tas de roche qui forme une colline, surplombant le reste de la vallée dans un creux de la montagne. La neige blanche et immaculée contraste avec le noir de la roche rendant le paysage encore plus brut et sauvage, heureusement pour nous, le vent s'est calmé et le soleil parvient même à percer la fine couche de nuages gris dans le ciel. Je respire une grande coulée d'air glacé tandis que le propriétaire du corbeau vient m'équiper d'une épaulette pour ne pas me blesser durant la séquence, le corbeau me dévisage d'un œil noir comme l'encre mais aussi vif et piquant que l'air de la montagne, son long bec semble être fait d'argent et luit sous la lumière faiblarde du soleil, son plumage magnifique ressemble à du satin et passe du noir au bleu nuit suivant la luminosité, cet oiseau magnifique vient se placer sur mon épaule et je sens ses serres se planter dans le cuir, je n'ose trop bouger en sentant ses ailes s'agiter près de mon oreille. 

- Je vais perdre un œil c'est moi qui vous le dis, ruminé-je entre mes dents. 

- Bon on y va, Flo ! Prêt ? 

   Je lève un pouce en l'air et Mathieu se place près de la caméra, Oli, derrière l'équipe bien au chaud dans sa veste, me fait un geste rassurant de la main et je soupire tandis que la musique se lance pour que je puisse rapper en play-back.

   Presque une heure plus tard, la séquence est enfin bouclée et nous pouvons passer à celle de la grotte, je claque des dents durant le trajet et place mes mains sous mes aisselles essayant de les réchauffer, ne sentant plus mes doigts. Les décorateurs se sont occupés de joncher le sol de papiers froissés et déchirés ainsi que des morceaux de journal et des disques, une bougie se consume également et je me demande comment la flamme parvient à tenir avec le froid qu'il fait dehors, un cadre avec la photo de mon frère et moi petit est posée sur le sol et je m'en saisis en souriant face au cliché. Mathieu vient me réexpliquer les vagues idées de mises en scène que nous avions imaginées en réunion et je m'assois contre la paroi, le froid de la glace me gèle jusqu'au os mais je ne tressaillis pas et m'applique sur ma tâche, essayant de plonger dans les émotions qui sont censées m'habiter : la rage, la détermination le doute aussi. S'ensuit donc le tournage où l'on me voit raturer des pages, me prendre la tête dans les mains et observer le cadre photo avec nostalgie. Vers la fin de la journée, toutes mes scènes ont été filmées, y compris celle où je cours à travers les bois, mes jours sont éraflées par les branches des arbres, je grelotte de froid dans mon pull et la descente à la station m'a donné des nausées mais malgré tout ça j'ai apprécié tourné ce clip. Il me tien beaucoup à cœur, brut, froid, enragé comme le vent, il me rappelle la montagne et la nature qui l'entoure, c'est une manière de dire qu'on revient dans le rap plus forts et soudés que jamais. 

Un dernier départOù les histoires vivent. Découvrez maintenant