Assis sur une des chaises hautes de l'îlot de la cuisine, une tasse de café à côté de moi : je m'acharne à essayer de terminer l'article que je dois rendre à ma patronne le lendemain. Je vide ma troisième tasse depuis la matinée et lâche un soupir en frottant de mes paumes mes paupières alourdies de sommeil. "J'ai besoin de faire une pause." Au moment même où je referme mon Mac, la sonnette retentit comme un signe du destin me signifiant que je dois arrêter de bosser. Je me lève et regarde par l'œil de juda, mon cœur rate un battement en apercevant sa crinière de cheveux noirs qui lui cache la moité du visage : nous ne nous sommes pas vus depuis le soir où j'ai appris son infidélité, depuis le soir où elle est partie en pleurs. J'ai envie de partir en courant, d'aller me réfugier dans la chambre et d'attendre qu'elle renonce, j'ai envie de lui hurler de partir mais aussi de l'embrasser : de la serrer contre moi pour sentir son ventre rebondi contre mon torse. C'est d'une main tremblante que je me saisis de la poignée et ouvre lentement la porte, comme pour retarder l'échange qui est à présent inévitable, ses yeux verts se posent sur moi et je me sens liquéfier de l'intérieur, mon ventre se tord et j'ai l'impression que mon cœur a dégringolé de ma poitrine pour venir se loger au fin fond de mes entrailles.
- Éva... murmuré-je
Je la voie tressaillir en m'entendant et elle m'adresse un regard désolé avant de déglutir.
- Sa... salut, je suis venue prendre des affaires, je veux pas te déranger, ça sera pas long, dit-elle d'une petite voix.
Je hoche la tête, incapable de faire autrement. Dans ma tête : mille et un sentiments font rage, l'envie de lui hurler dessus, de la détester du plus profond de mon âme, de pleurer toutes les larmes de mon corps et nicher ma tête dans son cou, l'envie de l'embrasser : de dévorer ses lèvres pour recouvrer le goût de ses baisers fiévreux, redécouvrir son corps qui me manque tant. Pourtant je reste stoïque et regarde la jeune femme rentrer dans l'appartement d'un pas prudent : comme apeurée, elle se dirige vers la chambre et je reste là : les bras ballants comme figé dans le temps. Les minutes passent et je continue de fixer le sol, perdu dans un immense vide cosmique qui m'englouti à une vitesse fulgurante : mes pensées me dévorent et les questions que j'avais réussi à caser dans un coin de ma tête reviennent comme une tempête pour tout détruire. Mon regard tombe sur l'enveloppe qui n'a pas quitté la table basse depuis qu'Éva la déposé et la réalité me frappe comme un coup de poing au creux de l'estomac : je ne peux pas la laisser repartir maintenant, il faut qu'on décide de tout ça aujourd'hui, je ne peux pas indéfiniment resté dans l'attente que tout rentre dans l'ordre. Éva revient, un sac en tissu sur l'épaule et m'adresse un regard remplit de tristesse et de gêne :
- Bon, bah je vais y aller, appelle-moi si tu as besoin de quoique ce soit.
Elle s'avance et au moment où son épaule frôle la mienne, j'attrape son poignet et le tiens fermement. La jeune femme sursaute et retient un hoquet de surprise et en tournant vers moi, son regard brûlant me déstabilise encore plus, rassemblant le peu de courage qu'il me reste et imaginant la visage de la petite fille qui hante mes rêves depuis une semaine je parviens à déclarer :
- Il faut qu'on discute, maintenant.
Elle hoche la tête et laisse tomber son sac au sol. Mes doigts sont toujours refermés sur son poignet mais je ne parviens pas à la lâcher : j'ai besoin de me raccrocher à elle pour me donner la force d'avoir cette discussion. Pourtant, Éva se détache et s'assoit sur le canapé : prête à m'écouter.
- Ce qu'il s'est passé ce soir-là... je n'arrête pas de t'imaginer dans les bras d'un autre, à imaginer tes lèvres sur celles de ce type et ça me donne envie de vomir, te voir là me donne envie de me taper la tête contre les murs parce qu'il y a cet enfant dans ton ventre. Et je te jure que ça me tue Éva, voir la femme qu'on aime porter un enfant qui n'est peut-être pas le sien est la pire des souffrances. J'ai essayé de te détester, de te haïr du plus profond de mon âme mais la vérité c'est que je n'y arrive pas ! Je n'y arrive pas parce qu'il y a cette putain d'échographie à laquelle je me rattache comme une putain de bouée pour pas devenir fou, pour me rappeler ce qui est en jeu ! J'ai mis du temps avant de me rendre compte de ce que je voulais vraiment, de ce que je voulais construire pour mon avenir, j'ai des milliers de pensées dans ma tête qui m'empêchent de dormir la nuit, j'ai tout remis en question parce que tu m'as trompé alors que tu es la seule qui puisse faire taire mes cauchemars. Alors par pitié Éva, je n'ai qu'une seule question et j'aimerai que tu y répondes sincèrement...
Elle relève la tête vers moi : les yeux brillants de larmes. Ma voix s'est cassée sur la dernière phrase et il me faut tout le courage du monde pour ne pas défaillir devant elle et me mettre à pleurer à chaudes larmes. Mon cœur tambourine si fort que cela en devient presque douloureux.
- Est-ce que tu m'aimes ? demandé-je dans un sanglot, est-ce que tu veux que cet enfant soit le mien ?
Ses yeux papillonnent et elle se lève, le visage ruisselant de larmes.
- Oui... Je t'aime Marc, du plus profond de mon âme et il n'y a pas un jour où je me déteste pas pour ce que je t'ai fais. Je suis sincèrement désolée, tellement tellement désolée.
Je ne bouge pas, pétrifié par son aveu et ses larmes qui continuent de couler comme des rivières sur ses joues hâlée. Je me retiens de me jeter sur elle pour la serrer contre moi : ce serait trop facile, j'avance de quelques pas et saisis pour la première fois l'enveloppe en kraft qui contient un test de paternité, qui contient la vérité sur tout ça.
- Je te crois, c'est tout ce que j'ai besoin de savoir...
J'attrape les extrémités de l'enveloppe et la déchire d'un coup sec : envoyant valser les papiers qui s'en échappent et se répandent sur le sol. Éva me regarde, les yeux écarquillés.
- Tu... tu ne l'as pas fait ? demande-t-elle dans un sanglot.
Je secoue la tête et ouvre mes bras où elle s'y réfugie en s'accrochant à mon tee-shirt. Je lui caresse le dos et enfouis mon nez dans sa chevelure pour y humer son odeur de monoï qui m'apaise. Ses épaules tressautent et je la serre un peu plus fort contre mon torse, déposant un baiser sur sa tempe.
- Ce qu'il s'est passé il y a trois mois ne compte plus, ce bébé et toi ; vous êtes mon présent et mon futur. Je n'ai pas besoin de passer de test pour le savoir. Je ne veux plus en parler, jamais, chuchoté-je.
Elle hoche la tête dans mon cou et nous restons là un moment : profitant seulement du fait de s'être retrouver et de pouvoir commencer sereinement un nouveau chapitre de notre vie. Je n'ai pas besoin de connaître la vérité, savoir qu'elle m'aime et que je serai là pour notre enfant me suffit à combler mon bonheur. Elle est la seule personne dont j'ai besoin pour avancer et le petit être coincé entre nos deux corps, à l'abri dans le ventre de sa mère est la plus forte preuve d'amour que l'on puisse s'offrir.
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Un dernier départ
Hayran Kurgu[3e tome de "L'amour inconnu" ] Partir, sans se retourner, pour mieux avancer. Comprendre que s'acharner n'est pas la solution, se rendre à l'évidence. Ne plus entendre nos disputes, ne plus faire couler nos larmes. Savoir apaiser nos cœurs et s...