Chapitre 47 (Marc)

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     Je regarde l'enveloppe de papier kraft et prie pour qu'elle s'enflamme par la seule intensité de mon regard, par la seule intensité de ma souffrance. Il y a encore une semaine, j'étais un jeune homme de vingt ans comblé : sur le point de devenir père et amoureux d'une fille sublime, j'étais celui que je voulais être. Mais qui suis-je à présent ? Mon corps est passé en mode automatique, je ne mange que lorsque mon estomac crie famine, je ne dors que lorsque mes pensées me laissent enfin tranquille, même si ce n'est qu'un court instant, même si mes heures de sommeil peuvent se compter sur les doigts de la main. Je n'ai plus goût à rien, si ce n'est à boire et à pleurer au fond de mon lit en pensant à la situation dans laquelle je me trouve. "Je t'ai trompé Marc." 

    Cette phrase me fait plus mal que toutes celles qui ont suivies, j'ai l'impression de ne pas avoir quitté le carrelage de la salle de bain, qu'encore à l'heure actuelle si je me rends devant cette porte, je pourrais entendre la voix sanglotante de la femme que j'aime m'avouant la vérité : Je ne suis peut être pas le père de notre enfant. C'est peut être lui, celui qui a posé ses mains sur le corps d'Eva, lui qui lui a volé une nuit, une seule "Elle me l'a juré."  Elle m'a juré que ce n'était arrivé qu'une seule fois alors qu'elle était ivre à une soirée, elle ne m'a rien dit parce qu'elle avait peur de me perdre et lorsque nous avons appris sa grossesse elle a eu encore plus peur de me le dire. Je l'ai écouté, ai bu ses paroles sans vraiment les assimiler, juste pour qu'elle arrête de pleurer, pour qu'elle arrête d'implorer mon pardon : je n'aime pas la voir souffrir mais à cet instant j'aimerai qu'elle ressente au moins un centième de ce que j'éprouve depuis des jours et des jours. 

     La seule phrase qui ait réussit à franchir mes lèvres cette soirée-là c'est : "J'ai besoin de temps." Alors elle a acquiescé, séchant ses larmes et a pris ses affaires avant de partir : m'adressant un dernier regard que je n'ai même pas oser rencontrer ; c'était beaucoup trop douloureux, de la voir là : le ventre rond et les yeux larmoyants. Je n'ai pas eu de nouvelles depuis pourtant elle ne cesse de préoccuper mes pensées, je tiens inlassablement dans ma mains l'échographie de ma fille pour me rappeler sa présence, pour essayer d'y voir plus clair et me rappeler ce qui est en jeu. Si j'ai envie de me réveiller dix ans plus tard en me demandant si je suis le réel père de cette enfant tombée du ciel, si j'arriverai encore à aimer sa mère, si ce ne sera pas un motif de rupture. J'ai si peur de l'avenir, du choix que je peux faire et qui m'est pour l'instant encore : inconnu, j'ai peur des résultats du test : de cette bombe qui pourrait menacer d'exploser. J'ai peur de laisser ma fille et de ne pas la connaitre, qu'elle se dise que son père s'est enfui : lâchement. 

     Je ne veux pas laisser Éva, partir sans rien dire, la laisser seule avec sa peine. Mais ça fait pour l'instant si mal, je n'arrive pas à mettre de côté cette colère et ce désespoir immenses, qui me broient un peu plus chaque jour. Je n'ai toujours pas touché l'enveloppe, ne serait-ce que l'effleurer et elle me donnerait des hauts le cœur, j'ai envie de la balancer par la fenêtre comme pour fuir la réalité, me débarrasser du problème. Mais ce n'est pas aussi simple, je ne peux pas seulement tirer un trait sur ça, faire comme si ce n'était pas grave, je ne veux pas me réveiller des années plus tard aux côtés d'une femme qui m'aura menti et dont je n'aurai pas totalement pardonné la faute, je ne veux pas regretter le choix que je dois prendre. Je veux pouvoir l'assumer et me dire que c'est le bon, je veux pouvoir être en paix avec Éva et savoir que je l'aime encore. 

     Mon téléphone vibre sur la table et je me précipite dessus priant pour que ce soit Éva qui me donne un signe de vie. Mais je lâche un soupir en voyant le contact de ma sœur s'affiché, j'hésite un instant à ignorer l'appel mais finis par porter mon téléphone à l'oreille, me rallongeant sur le lit. 

- Hello sœurette comment ça va ? demandé-je d'une voix la plus enjouée possible. 

- Salut Marc, ça va bien et toi ? Tu as l'air tout bizarre, ça va ? 

     Je déglutis et cherche une excuse, je ne veux rien dire à personne pour l'instant, c'est une nouvelle trop dure à digérer pour que je puisse la dire à voix haute. 

- Non ça va ne t'en fais pas. Je suis juste... un peu fatigué c'est tout. 

- Ah, tu devrais ralentir sur le travail Marc, profite des bonnes nuits de sommeil avant que tu en n'ai plus avec l'arrivée du petit monstre ! D'ailleurs comment va Éva, pas trop dur la grossesse ? 

     Je sens mon cœur se pincer violemment, cela fait si mal que je porterai presque la main à ma poitrine, réprimant un gémissement de douleur. Je me pince l'arrête du nez et cherche mes mots : essayant d'être le plus naturel possible. 

- Oui, t'as raison : je devrais profiter du temps qu'il me reste. Éva va bien, elle... elle a un peu surmené par les hormones mais ça va on gère, assuré-je, et toi bien arrivé chez les parents ? 

    Le mensonge me brûle la gorge : je déteste mentir à ma sœur encore plus quand j'aimerai que mon mensonge soit la réalité, qu'Éva se blottisse contre moi, enfouissant sa tête dans mon cou pour que je puisse sentir son parfum. 

- Ouais, ils sont d'ailleurs très contents de me voir. Je sens que maman va encore essayer de me gaver, tu la connais ! fait-elle 

- Oui, dis-je en souriant, je vais devoir te laisser. Embrassez-les de ma part. 

- Pas de problème, ce sera fait ! 

     Je raccroche et laisse tomber mon téléphone à mes côtés sur le matelas. Je presse mes paupières contre mes paumes : pris d'un violent mal de crâne qui me tiraille, je reste peut-être quelques minutes ainsi, à contempler le noir avant de me relever et d'aller dans la cuisine pour avaler un cachet avant de revenir dans ma tanière et de me coucher sous les draps emprunts du parfum d'Éva et de fermer les yeux : plongeant dans les eaux du sommeil.  

Un dernier départOù les histoires vivent. Découvrez maintenant