Chapitre 62 (Olivio)

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- Flo dépêche ! Notre vol a été appelé. 

     Je secoue l'épaule de mon frère pour le faire réagir, puis saisis mon sac à dos jusqu'à la porte d'embarcation, il me suit d'un pas toujours lent et même maussade. Dans la queue jusqu'à l'avion je me tourne vers lui et demande d'un ton sec : 

- Tu vas me dire ce qu'il t'arrive à la fin ?! 

     Il lève les yeux vers moi et fronce les sourcils en secouant la tête. 

- Je ne vois pas de quoi tu parles, je vais très bien. 

     Je soupire d'agacement face à sa mauvaise foie et avance au rythme de la foule tout en gardant un contact visuel avec Flo qui me regarde d'un oeil mauvais. "Mais qu'est-ce qu'il lui arrive ?" 

- Arrête de me mentir, tu tires la gueule depuis deux jours, déjà cette semaine tu étais absent. Qu'est-ce que je t'ai fais ? demandé-je en sentant l'énervement me gagner. 

- Mais rien du tout Oli, j'ai le droit de pas sourire toute la journée, lâche-moi un peu. 

     Je lui adresse un regard noir et me détourne pour avancer, rien ne sert d'insister cette conversation ne mène à rien, qu'il boude si ça lui chante. Nous rentrons dans l'avion et je m'assois à la place contre le hublot sans lui adresser un regard, il fait de même et aussitôt installer, il place son casque sur les oreilles et coupe tout contact. Je fais de même et souffle rageusement, je regarde au-dehors : la ville semble encore endormie, enveloppée dans un nuage de brouillard comme du coton. Je sens bientôt l'avion vibrer signe que nous allons décoller, je ferme les yeux et tente de me remémorer notre séjour à New York.  La découverte de cette ville incroyable, de ses kilomètres de béton et ses grandes lumières qui brillent comme des centaines de phares dans la nuit, ses bruits si typiques et cette soudaine impression que tout est réalisable, ce voyage a été enrichissant, une manière de se déconnecter un peu de ma vie toulousaine et de tout ce que j'y ai laissé, d'une autre manière venir à New York m'a fait comprendre à quel point j'aime ma ville et qu'être loin d'elle c'est comme être loin d'une part de moi-même. Elle m'a vu grandir, faire mes premiers pas, mes premiers freestyles, mes premières victoires, elle est cette mère adoptive qui veille sur moi avec ses briques rouges et son accent, cette sage avec sa Garonne qui semble accueillir toutes les larmes du monde, son Capitole imposant et si fier. J'ai hâte de la retrouver, de pouvoir raconter à mes potes tout ce que j'ai vu ici, les odeurs, les images, les sons, une petite partie de New York s'est greffé à moi et j'aime cette idée que c'est ici qu'un nouveau projet à pris forme. 

     Je me cale un peu plus dans mon siège et jette discrètement un coup d'œil vers mon frère, concentré sur son écran de console. Ses traits sont marqués, un pli est collé entre ses sourcils depuis plusieurs jours, cette semaine aura été très différente de la première, Flo était plus bougon, moins bavard et même à fleur de peau et il refuse toujours de me dire la raison de son agacement ou du moins de sa soudaine tristesse. Cela m'irrite beaucoup qu'il se taise, on se dit tout entre frères, autant liés par le sang que par nos secrets on est comme un seul esprit. Mais aujourd'hui, il a décidé de suspendre le cordon et de s'enfermer dans une bulle noire que je ne peux pas atteindre. Je me demande s'il n'aurait pas revu Elena, je sais que leur retrouvailles dans sa galerie l'a assez secoué mais sur ce sujet mon frère est toujours resté silencieux, surtout depuis qu'ils se sont séparés : le prénom Elena a été banni de son vocabulaire quand il l'a quitté, alors je doute qu'ils se soient à nouveau vu, je sais que mon frère a énormément souffert de leur rupture dont il en est pourtant l'auteur.  Alors, je préfère le laisser revenir par lui-même, en discuter ne ferait qu'augmenter notre énervement à tout deux et nous pourrions dire des choses que l'on pense pas réellement, mais sous le coup de la colère sortent sans prévenir. Nos disputes sont souvent comme ça, les fans pensent que tout est rose entre nous mais nombreuses sont les traces de gris et de noir qui ponctuent notre relation. Nous sommes frères c'est normal de s'engueuler et nos disputes ne durent jamais bien longtemps. 

     Je décide de sortir mon carnet d'écriture de mon sac et un stylo et pose mon mollet sur mon autre cuisse pour pouvoir écrire, je passes les pages du morceau de la dernière fois : celui de la femme du parc dont Flo a validé l'idée et me met à écrire tout ce qu'il me vient par la tête, sans d'idée réellement précise. Bien vite je me rends compte que c'est ma vie que je décris, l'enfant que j'étais puis l'adolescent qui m'a quitté il n'y a pas si longtemps, je n'ai pas le sentiment d'être encore une homme mais cela avance tout doucement, l'année prochaine j'aurai vingt ans. je continue à écrire sur moi et très vite cela prend forme d'un autoportrait, un texte où je me livre à cœur ouvert sur mes sentiments et mes souvenirs, chose très nouvelle à cause de ma timidité qui me ralentit énormément. Je continue à écrire pendant une heure avant de ranger mon carnet, mes muscles me faisant souffrir à cause de la mauvaise posture que j'ai abordé tout le long, je tourne la tête vers mon frère et constate qu'il s'est endormi. Je décide de faire de même et cale ma tête contre le hublot, à travers la vitre je peux voir l'immensité du ciel que nous traversons, les nuages camaïeux se découpent en longues bandes dans le vaste espace bleu comme du coton, tout semble au ralenti, comme si le temps était en suspend dans les airs, une bulle de plénitude où règne le silence. Je me laisse gagner par le sommeil et ferme les yeux, plongeant dans un océan de rêves paisibles. 

     Ce n'est que bien plus tard, que je passe enfin la porte de mon appartement où une odeur de renfermé règne, je fronce le nez et pose ma valise pour aller ouvrir les volets du salon et laisser la brise estivale de septembre s'immiscer dans la pièce. Je récupère le sac en plastique que j'ai posé sur la table basse et me rends dans la cuisine pour ranger dans le frigo les provision que j'ai acheté sur le chemin jusqu'ici. Une fois cela fait, j'emporte ma valise et mon sac dans ma chambre et la laisse dans un coin de la pièce : je m'occuperai de la défaire plus tard. Je décide de passer à la salle de bain pour rendre une douche bien chaude et me débarrasser de l'odeur de l'avion et de l'aéroport, l'eau ruisselle sur ma peau et je lâche un soupir en sentant mes muscles se décontracter après des heures assis dans l'avion. Je sors et enroule une serviette autour de ma taille pour récupérer une jogging et un tee-shirt dans ma penderie avant de me rendre dans la cuisine et de faire réchauffer au micro-ondes la part de moussaka que ma mère tenu à nous donner à Flo et moi à l'arrivée à l'aéroport. Elle soupçonnait qu'aucun de nous deux n'est prévu de nous faire à manger à notre retours et nous a donc tendu deux tupperwares pleins à peine sortis de l'avion, même si j'ai levé les yeux aux ciel en lui répétant qu'il ne fallait pas, à la première bouchée je remercie intérieurement ma mère pour l'attention. 

      Flo a décliné mon invitation quand je lui ai proposé de venir à l'appart et même si sur le coup je me suis senti déçu, j'ai fini par comprendre que c'était mieux, on se serait sûrement engueulés et cela n'aurait rien changé au froid qui s'est installé depuis la fin de notre séjour à New York. On a besoin de se retrouver chacun de notre côté après deux semaines ensemble vingt quatre heures sur vingt quatre. C'est mon frère, je sais que dans très peu de temps il sera à nouveau à côté de moi dans le canapé en train de jouer à la console. 

Un dernier départOù les histoires vivent. Découvrez maintenant