Chapitre 49 (Samia)

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     Vide. Je me sens si vide, comme si on avait retirer tous mes organes, tout le sang de mes veines, qu'on avait arracher ma peau et mes cheveux pour ne laisser qu'un frêle squelette qui menace de se briser à chaque instant. Une pierre dans l'estomac, des aiguilles dans le cœur, un chaos dans ma tête et une haine, une noire gigantesque haine contre mon agresseur, contre le responsable de ma descente aux enfers. Je ne mange plus, je ne dors presque pas et rares sont les mots qui franchissent mes lèvres, j'ai arrêté de vivre pleinement pour passer en mode automatique : devenue une chose dont on a enlevé toute envie de vivre. J'ai arrêté de compter mes cauchemars, les nuits où je me réveille trempée de sueur parce que je le voyais dans mes songes. J'ai arrêté de compter les larmes qui roulent et gercent mes lèvres, les sanglots que m'arrache mon désespoir. J'ai arrêté de répondre "ça va" à la femme que j'aime, j'ai arrêté d'essayer de me persuader que j'irai mieux, que je suis forte. 

      Assise devant la télé que je ne regarde même pas, je laisse mes pensées vagabonder. Je serre entre mes doigts un pan de la couverture posée sur mes épaules et la serre contre moi : j'ai terriblement froid, même avec une énorme paire de chaussettes, deux pulls et un jogging. Mon corps reste glacé de l'intérieur. Je suis soudain tirée de mes songes par Cassandra qui vient de poser un plateau devant moi ; cela fait maintenant une semaine qu'elle se bat pour me faire avaler quelque chose. J'ai beau essayer, me forcer, je n'y arrive pas. Le pauvre poisson et les épinards qui l'entourent me donnent juste envie de courir aux toilettes pour y vomir le peu que j'ai dans l'estomac. 

- S'il te plaît Samia... 

     Je relève les yeux vers elle et sens mon cœur se crever un peu plus quand je constate encore une fois à quel point elle est fatiguée. Ses yeux sont bordés par des cernes immenses qu'elle peine à masquer avec du correcteur, son teint et pâle et ses yeux suppliants. Elle a cessé de sourire par ma faute. Je lui adresse un regard désolé, essaye de lui faire comprendre que cela ne sert à rien. 

- Je... je n'y arrive plus Cas'. 

     Je porte la main à ma gorge et la masse pour faire disparaître la douleur naissante, ma voix est si rauque que je doute presque qu'elle m'ait entendu. 

- Samia, je t'en prie, il faut que tu manges. Tu sais que sinon je serais obligée d'appeler ta mère, dit-elle. 

- Non ! Je t'en supplie ne l'appelle pas. 

     Je ne veux surtout pas déranger mes parents. Cassandra a été obligé de les mettre au courant lorsqu'ils ont appelés sur le fixe, le lendemain de mon retour à Toulouse, après mon séjour chez les parents de Louise. Ils sont directement venus de Montpellier et séjournent à l'hôtel le temps que tout s'arrange. J'ai eu beau supplier, jurer que j'allais m'en remettre ils ne sont pas repartis et voir mes parents aussi malheureux me fend le cœur. Leur visite m'a obligé à leur annoncer ma relation avec Cassandra puisqu'elle vit à présent avec moi, si d'abord ils sont restés silencieux ils ont finis par être heureux pour moi en disant que c'était "une excellente nouvelle". Je pense que ma situation actuelle a joué dans leur acceptation. 

- Tu sais qu'elle m'enverra à l'hôpital et tu m'as promis que je n'irai pas à l'hôpital, lui rappelé-je en éclatant en sanglots. Tu as promis ! 

     Elle s'assoit sur le canapé et me prend dans se bras, j'enfouis ma tête contre sa poitrine et m'accroche à son chemisier comme à une bouée de sauvetage. Je suis consciente que mes efforts sont vains, que je ne lui facilite pas la tâche pour me faire aller mieux mais j'ai désespérément besoin d'elle, je ne supporterai pas qu'elle s'en aille. 

- Chut... c'est promis Samia, c'est promis, murmure-t-elle en caressant mes cheveux. 

     Ma crise de larmes s'arrête et je renifle bruyamment avant de me dégager d'elle pour la regarder dans les yeux. 

- Tu es la plus belle chose qui me soit arrivé Cas'. Je sais que je ne t'aide pas assez, que je suis un poids et que tu te tue à la tâche pour me remettre sur pieds mais... Je n'y arrive pas Cassandra ! Je te jure que je fais des efforts mais... mais je suis complètement détruite. 

     Je retourne dans ses bras, prise à nouveau de sanglots. Je la vois essuyer furtivement son œil : elle pleure aussi.  

- Tu n'es en aucun cas un poids pour moi Samia, tu ne le seras jamais. J'ai choisi de rester auprès de toi et je ferais tout pour que tu redeviennes celle que tu étais, je te le promets. 

     Je hoche la tête et essuie une bonne fois pour toute mes larmes qui ont rendus mes yeux bouffis. "Ça suffit les pleurs !" Cassandra se saisit du plateau et le pose sur ses genoux : son regard est doux mais ferme à la fois, elle veut me faire manger coûte que coûte. Alors je baisse les armes et ouvre la bouche tandis que la première bouchée rencontre ma langue, je déglutis avec difficulté et sens presque la nourriture tomber dans mon ventre vide depuis des jours. Je lui souris et elle me tend une deuxième bouchée que j'avale plus rapidement que la première, au fond de moi : je me sens tout de même honteuse parce que je n'arrive pas à me nourrir seule, je n'arrive pas à prendre cette satanée fourchette sans que celle-ci ne tremble entre mes doigts. Au bout de la cinquième bouchée, mes entrailles se manifestent et me signifient que s'en est assez  : mon estomac se tord violemment et je cours, une main sur la bouche, jusqu'aux toilettes et y vomit tout ce que je peux. Cassandra, qui m'a suivi, retient mes cheveux en arrière et masse doucement mon dos, attendant que je me calme. Après quelques instants, je cesse enfin de vomir et m'appuie contre la baignoire une main sur la poitrine, ma copine me tend un verre d'eau que j'avale d'une traite et garde sa main sur ma nuque où elle décrit de petits cercles avec son pouce, cela suffit à calmer les battements de mon cœur. 

- Samia, je sais que c'est dur. Mais si tu allais voir un spécialiste... peut-être qu'il t'aiderait à aller mieux. 

- Non ! répliqué-je, pas de médecin, pas pour l'instant. Je ne suis pas prête. 

- Samia, quand tu seras prête, il sera peut-être trop tard. Je ne veux pas que salopard gagne, jamais, dit-elle en plantant ses yeux gris dans les miens. 

     Je hoche la tête mais reste tout de même craintive à l'idée de me retrouver face à un inconnu pour lui parler de mes problèmes. 

     Un peu plus tard, lorsque que nous sommes toutes les deux allongées sous les couvertures, nos jambes emmêlées et nos front collés l'un à l'autre, je me mords la lèvre et relève la tête vers elle pour plonger mon regard dans l'intensité de ses yeux, pour apercevoir la lueur dont je suis tombée amoureuse. Mon cœur bat vite, il pulse dans ma cage thoracique comme s'il se réveillait après une long coma, malgré mon état, malgré ce gouffre immense qui s'est creusé en moi, j'arrive encore à ressentir ce que je ressentais avant. Je suis soudain poussée par une envie indescriptible de murmurer trois mots que nous n'avons encore jamais échangés. 

- Qu'il y a-t-il ? demande-t-elle en remarquant mon soudain changement d'humeur. 

     Mes yeux papillonnent, je rapproche à nouveau mon visage du sien : nos lèvres s'effleurant presque. Ma tête, habituellement remplie de cauchemars lorsque que vient la nuit, est soudainement légère et dans le silence de cette chambre qui aura vécu mes larmes comme mes mots doux, mes cris comme mes joies, je murmure trois mots clefs :

- Je t'aime.  

Un dernier départOù les histoires vivent. Découvrez maintenant