Je me pose dans un coin du parc, à l'ombre d'un gigantesque chêne, assis sur un banc : j'observe la nature autour de moi et respire à pleins poumons. J'ai décidé de passer la journée à Central Park, je me suis réveillée ce matin avec la gorge qui me tiraillait et j'ai préféré éviter de forcer dessus par peur de devenir aphone. Me voilà donc dans le parc mythique de la ville, ne sachant réellement quoi faire d'autre, j'étais trop agité pour dormir ou rester dans ma chambre d'hôtel et je n'avais pas le cœur à aller au studio si je ne peux pas rapper, j'ai tout de même pris mon carnet pour pouvoir écrire, que ce temps libre me serve au moins à quelque chose. Je sors de quoi écrire et branche mon casque à mon téléphone pour y lancer une playlist que je mets en fond.
Je commence à écrire quelques phrases, peu inspiré mais mon regard est soudain attiré par une tache colorée dans le coin de mon champ de vision : quelqu'un vient de s'asseoir sur un banc à quelques mètres du mien, je tourne rapidement la tête pour y découvrir une jeune femme avachie, les épaules voûtées et l'air totalement abattu. Elle doit sûrement sentir mon regard car elle tourne la tête vers moi, plantant ses yeux imbibés de larmes et noircis par son maquillage qui a coulé en grandes larmes noires sur ses joues, je détourne la tête, ne voulant pas me monter impolie et me concentre de nouveau sur ma page blanche, pourtant je n'arrive pas à reprendre mon stylo pour la noircir, ma curiosité a été piquée, je regarde à nouveau du coin de l'œil la jeune femme et l'observe sortir une cigarette de son jean avant de l'allumer pour la porter ensuite à ses lèvres et recracher une fumée blanche. "Qui est-elle ? Pourquoi pleure-t-elle ? Est-ce à cause d'une rupture, d'un licenciement ou juste le poids écrasant d'un mal être ?" Et voilà, mon esprit est déjà assaillis de questions que je ne poserai jamais à voix haute parce que je ne maîtrise pas la langue et que je suis trop timide pour ça, je ne fais que la regarder discrètement sans qu'elle ne s'en aperçoive : son regard est fixé sur le sol, je distingue des larmes silencieuses roulées sur ses joues, sa poitrine ne tressaute pas, elle ne bouge pas : il n'y a que cette eau noircie de mascara qui coule sur son visage qui pourrait être si beau sans ce chagrin qui y est peint. Elle tire sur sa clope une nouvelle fois et le pli qui barrait son front disparaît, la nicotine l'apaise ou du moins c'est ce que j'en déduis. Je regarde encore quelques instants cette jeune femme qui semble se fissurer sous mes yeux avant d'être soudain empli d'une inspiration, comme si la peine que je décèle chez cette inconnue était venue jusqu'à moi pour être retranscrite sur ma page, je suis une éponge aux émotions de ceux qui m'entourent et qui les rend malléables et sous un nouveau jour.
Très vite, les quelques phrases que j'avais écrites sont barrées pour être remplacée par des morceaux de textes décousus sur l'histoire d'une fille amoureuse d'un homme toxique pour elle qui est en fait une métaphore sur l'addiction à l'alcool, je trouve l'idée plutôt cool et j'écris jusqu'à avoir mal à la main, je relis mes écrits, assez content de moi et tourne la tête vers le banc voisin : vide, la fille a disparu, ne laissant qu'un mégot fumant écrasé sur le bitume. Je ne connaîtrai jamais son histoire, son nom, si sa peine s'en est allée, si elle sera heureuse dans quelques années, je ne saurai rien de tout ça et pourtant elle vivra une vie que je lui ai d'une certaine manière inventée. Cette jeune femme n'entendra jamais un de mes morceaux et pourtant elle en a inspiré un, du moins si Flo est d'accord pour en faire un morceau pour un prochain album. J'écris encore un peu avant de refermer mon carnet de me lever du banc, les membres engourdis par ma mauvaise posture, je déambule dans le parc, observant les lieux, je souris lorsque mon chemin se croise avec celui d'un écureuil l'air très pressé de rejoindre son arbre et me décale pour laisser passer deux joggeurs aux visages rougis par l'effort de la course, je marche encore une vingtaine de minutes avant de me diriger vers l'entrée, je sors mon téléphone de ma poche et m'empresse de commander un uber pour me ramener à l'hôtel, je ne saurais dire si j'en suis loin ou non et je ne préfère pas tenter à pied au vu de mon sens de l'orientation plutôt médiocre, soudain mon regard est attiré par une notification d'un rappel calendrier qui me glace aussitôt le sang : "anniversaire Louise".
Cela m'était complètement sorti de l'esprit et à vrai dire j'aurai préféré ne pas y repenser. L'an dernier nous l'avions fêté ensemble avec son frère et sa meilleure amie, une sortie pour fêter l'anniversaire des jumeaux puis nous avions passé la soirée en tête à tête, j'avais tout organisé, tout planifié mais malheureusement, le restaurant dans lequel j'avais réservé avait subitement fermé et l'orage était de la partie, déversant des tombes d'eau sur nous ; j'étais dégoûté que la soirée soit gâchée. Louise elle, avait sourit et embrassé ma joue trempée par la pluie en me disant que ce n'était pas grave avant de nous entraîner : ma déception et moi dans un Macdonald's pour y dîner. Le soir blotti contre moi elle m'avait avoué que cette journée avait été parfaite et qu'être avec moi la rendait plus heureuse que n'importe quel plat d'un restaurant, j'avais souri avant de déposer un baiser sur son front : cette fille me rendait dingue et voir que tout ceci n'est plus qu'un lointain souvenir me serre les entrailles. "Dois-je lui envoyer un message ?" Ma tristesse et ma colère désapprouvent cette idée mais le reste de sentiments que j'ai pour Louise, lui, me pousse à le faire, je ne veux pas reprendre contact avec elle, ni la revoir mais lui souhaiter un joyeux anniversaire ne peut peut-être me permettre d'avancer et d'aborder toute cette histoire sous un nouveau jour : je ne peux pas lui en vouloir indéfiniment, ni essayer de la revoir et de tout remettre en ordre, c'est du passé maintenant.
Je réfléchis à tout ça tout en m'installant sur la banquette arrière du uber et décide d'ouvrir notre conversation, les derniers messages échangés datent de deux jours avant que je ne parte à Paris pour la retrouver et j'avoue sentir mon cœur se serrer douloureusement en relisant rapidement nos messages, je secoue la tête et active le clavier dans la bulle d'un nouveau message. Sauf que voilà, je ne sais pas quoi marquer sans que cela ne prenne une signification tout autre que celle que je veux faire passer, écrire seulement un "joyeux anniversaire" me paraît être trop froid mais je ne souhaite pas non plus faire un long paragraphe qui engagerait une conversation, alors je soupire et finit par écrire un joyeux anniversaire accompagné d'une formule de politesse du genre : j'espère que tu vas bien. Je ferme les yeux et presse rapidement le bouton d'envoi, par peur de me résigner à la dernière seconde, je regarde le logo de chargement tourné avant que l'heure le remplace, signe que le message a été envoyé. Je respire plus librement et range mon téléphone, ce message est une étape de plus vers la fin du chapitre Louise.
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Un dernier départ
Fanfic[3e tome de "L'amour inconnu" ] Partir, sans se retourner, pour mieux avancer. Comprendre que s'acharner n'est pas la solution, se rendre à l'évidence. Ne plus entendre nos disputes, ne plus faire couler nos larmes. Savoir apaiser nos cœurs et s...