Chapitre 75 (Louise)

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      Je me penche au-dessus du berceau d'hôpital, totalement obnubilée par la petite fille qui y dort à poings fermés. Je laisse mon regard parcourir chaque centimètre carré de sa peau métisse parfaite qui semble aussi douce que de la soie, ses minuscules mains sont refermées en poings posés près de sa tête toute ronde et couverte de cheveux noirs comme sa maman, sa bouche en forme de cœur s'ouvre en un petit « o » et ses yeux s'ouvrent tout doucement comme les ailes d'un papillon. Je suis frappée par la couleur de ceux-là, deux grandes billes bleues claires contrastant magnifiquement avec sa peau.

- Elle a nos yeux Marc, chuchoté-je émerveillée

      Mon frère à côté de moi est tout aussi hypnotisé et ne cesse de sourire, je me demande d'ailleurs comment fait-il pour ne pas avoir de crampes, il couve tour à tour Éva et sa fille d'un regard rempli d'amour et de plénitude. Je ressens son sentiment et il me gagne peu à peu, c'est comme si le petit être allongé dans ce berceau avait ralenti le court du temps, rendant l'atmosphère plus douce et sucrée.

- Bonjour Iris, roucoulé-je la gorge saisie par l'émotion

     Je n'ose tendre mes doigts vers elle, comme si j'avais peur d'abîmer ce petit être tout neuf et fragile, Iris semble me regarder avec attention, ses yeux sont grands ouverts et attentifs à ce qu'ils voient autour, sa poitrine se soulève lentement. Je me risque tout doucement et tends mon annulaire vers ma nièce, ses minuscules doigts l'attrapent, la chaleur de sa peau et sa prise frêle m'arrachent un petit rire et Éva propose soudain :

- Tu veux la prendre ?

     Je relève la tête et me mets à balbutier surprise par sa proposition, avant de hocher lentement la tête, presque apeurée à l'idée de tenir le bébé. Marc s'approche et prend, avec toutes les précautions du monde, sa fille dans ses bras et la rapproche lentement vers moi, je sens mon cœur fondre en voyant mon frère si méticuleux et les yeux pétillants d'une joie que je lui connais peu. Je forme un berceau avec mes bras et Marc vient délicatement poser Iris à l'intérieur, je resserre lentement ma prise et sens son petit corps se mouler contre ma poitrine, je retiens un rire nerveux et me mords les lèvres pour ne pas pleurer de bonheur, tant le fait d'être tante me paraît impensable et merveilleux. Je m'assois avec délicatesse dans un des fauteuils de la chambre et lance un regard vers Éva, dont les traits sont tirés par la fatigue et l'effort, ses cheveux sont en bataille et son ventre a déjà dégonflé depuis la veille, malgré tout ça, la jeune maman paraît apaisée et profondément heureuse.

- Elle est magnifique, soufflé-je, c'est un beau bébé.

- On a bien travaillé, je suis d'accord, raille Marc en souriant

    Sa copine à côté lève les yeux au ciel en soupirant :

- Ouais enfin j'ai surtout travaillé, huit heures pour la mette au monde c'est pas rien. Monsieur a quand même failli s'évanouir.

    Je lance un regard surpris à mon frère qui avait omis ce détail quand je suis arrivé tout à l'heure directement de Paris, après son coup de fil plus qu'explosif la veille, j'ai bien cru y perdre mes tympans.

- Oui, bah j'ai paniqué, ça arrive, c'est fini maintenant, dit-il

- Oh mais détrompes-toi, lancé-je, ça ne fait que commencer.

     Les deux jeunes parents soupirent, prenant tous les deux une tête d'enterrement comique, je décide de changer de sujet pour éviter de les démoraliser si tôt après la naissance de leur enfant.

- Sinon, pourquoi Iris ? questionné-je

- Dans la mythologie romaine, Iris est la messagère des dieux, représentée sous forme d'un arc-en-ciel, en fait c'est surtout l'arc-en-ciel qui nous a décidé, explique Éva, c'est inattendu et soudain, on ne regrette jamais d'avoir l'occasion d'en voir un.

     Je hoche la tête et me penche vers ma nièce qui a de nouveau fermé les yeux, mes cheveux tombent autour de son visage et je peux presque sentir son odeur de nouveau-né.

- C'est ce que je disais donc : magnifique, comme un arc-en-ciel.

     Ses parents semblent plutôt d'accord avec moi et hochent la tête, ma belle-sœur cale sa tête sur l'épaule de mon frère qui s'est assis au bord du lit d'hôpital et enlace leurs mains. Je berce lentement Iris contre ma poitrine et dis soudain :

- Je trouve qu'elle a aussi ton nez Marc, mais ses lèvres restent les tiennes Éva et son visage aussi.

- Ouf, souffle celle-ci, j'attendais que quelqu'un me le confirme, j'ai quand même participé bon sang !

     Elle sourit et ferme les yeux, fatiguée, mon frère me lance un regard et soupire, mais cela ressemble plus à du soulagement qu'autre chose et je n'arrive pas à trouver pourquoi donc, je ne m'attarde pas plus sur le sujet et contemple une énième fois ma nièce :

- Tu es en avance tu sais, tu es arrivé comme par magie mais pourtant c'est comme si on t'avait toujours attendu.

- Le neuf février, soupire mon frère, et dire que j'étais en train de monter son berceau quand Éva a perdu les eaux, elle a dû sentir qu'on lui préparait sa chambre, du moins qu'on essayait, elle a rappliqué aussitôt pour nous faire accélérer.

    Je ris doucement et me lève prudemment pour déposer Iris dans son berceau, Marc se lève et dépose un baiser sur le front d'Éva qui semble s'être endormie.

- Tu veux aller boire un café ? proposé-je

- Volontiers, je n'ai pas beaucoup dormi cette nuit, j'ai besoin de caféine.

     Nous sortons lentement de la chambre et nous nous dirigeons vers l'ascenseur pour rejoindre le rez-de chausser, j'observe les lieux et la peinture défraîchie des murs, le sol blanc me pique les yeux et des relents de produits chimiques viennent titiller mes narines, arrivés à l'accueil nous nous dirigeons vers la machine à café et nous nous servons deux gobelets en plastique remplis d'un café noir plutôt de mauvaise qualité mais réchauffant tout de même mon corps transi par le froid de février.

- Ça fait bizarre de se dire qu'il y a presque trois ans je fuyais des trafiquants en Angleterre en me faisant passer pour mort et qu'aujourd'hui je suis ici, dit-il

- Eh oui, la seule chose que tu vas devoir fuir à présent ce sont les couches pleines, plus très palpitant hein ?

- Mon dieu, je suis papa ! s'exclame-t-il comme s'il venait de réaliser.

     Je rigole et tapote maladroitement son épaule pour le rassurer, j'avale une gorgée de mon gobelet et réprime une grimace de dégoût.

- Et moi, en presque trois ans, j'ai survécu à un cancer, eu une rupture et je suis sur le point de finir mes études, s'ajoute à ça le fait que je suis tata à présent, alors oui : il s'en est passé des choses, mais... pour rien au monde je changerai ça.

- N'oublie pas que tu vas aussi ouvrir ton propre hôtel, ajoute-t-il dans un clin d'œil

     Je me mords l'intérieur des joues pour m'empêcher d'avouer que cela pourrait réellement se faire. Je préfère pour l'instant ne pas trop semer cette idée dans l'esprit de tous mes proches, Samia me soutient et Hugo fait bien plus encore, sans lui, ce projet n'aurait aucun espoir de voir le jour, il en a vaguement parlé avec son père et il semble intéressé ou du moins veut bien y réfléchir. Marc me sort de mes pensées en tendant son gobelet vers le mien pour trinquer :

- À notre passé, notre présent et surtout à notre futur...

    Je souris à cette personne qui est sûrement celle en qui j'ai le plus confiance et qui me connaît mieux que personne, je revois ce petit garçon qui me consolait dans son lit quand j'avais peur de l'orage, de ce jeune adolescent avec qui j'ai tout partagé, de cet homme qu'il est en train de devenir, ce père que je supporterai toujours quoi qu'il arrive. Nous trinquons et je tends soudain ma main libre, pointant mon petit doigt, il comprend mon geste et fait de même en crochetant le mien, comme des anneaux d'une même chaîne.

- À nous, dit-il

- À nous.   

Un dernier départOù les histoires vivent. Découvrez maintenant