Chapitre 74 (Marc)

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     J'applique un dernier pansement sur mon index sanguinolent, "Foutue perceuse !" et range la boîte à pharmacie dans un coin de la pièce, quelque chose me disant que j'en aurai encore besoin d'ici peu. 

- Tout va bien mec ? me demande Liam, mon meilleur ami. 

- Ouais, bon on a presque fini, tiens passe-moi cette planche-là... je crois que c'est la D1 mais je ne suis pas sûr. 

    Il me tend la pièce et je fronce les sourcils devant le mode d'emploi qui paraît de plus en plus compliqué à mesure que le berceau, ou du moins ce qui devrait en être un, se construit. La plupart des meubles commandés sont arrivés il y a quelques jours et j'ai tenu à attendre mon meilleur ami pour les déballer, ne me voyant clairement pas seul avec toutes ces vis et notices plus incompréhensibles les unes que les autres. Il y a deux mois, mon père et moi avons vidé la pièce qui servait autrefois de bureau et de chambre d'amis pour commencer les travaux de la chambre du futur bébé, la peinture gris clair, tirant presque sur le lilas a fini de sécher il y a quelques jours ce qui nous permet d'attaquer les meubles, ce qui, comme le prouvent mes mains bandées, n'est pas une mince affaire. Nous avons mis presque deux semaines pour se mettre d'accord sur le choix de la couleur, nous ne voulions pas en mettre une qui laisserait penser à un sexe plus qu'à un autre et avons donc opté pour une couleur neutre qui se marie bien avec le mobilier, à vrai dire cela en aurait été une autre j'aurai content pareil : je n'en pouvais plus de passer la journée le nez dans des catalogues et de devoir sans cesse faire la différence entre un bleu cobalt et un minéral ou un vert lime ou irlandais sans voir la nuance entre. L'armoire est quasi finie mais impossible de trouver la deuxième porte pour l'instant, la table à langer est elle bien sagement calée contre un des murs de la chambre et il reste donc le berceau à terminer, ce qui est la pièce principale. 

- Tu me passes le marteau s'il te plaît ? demande Liam 

     Je lui tends l'outil et me penche à nouveau sur le mode d'emploi, soudain une voix moqueuse me fait relever la tête et je découvre Éva, adossée contre le chambranle de la porte, une tasse de thé entre les mains et un sourire rieur collé aux lèvres. 

- Tu te délectes du spectacle ? lancé-je acide 

- Assez je dois dire, répond-elle amusée par mon ton maussade. 

- Tu pourrais nous aider quand même ! 

    Je suis totalement conscient d'être d'une mauvaise foi intense mais les nombreuses coupures et échardes plantées dans ma peau m'empêchent d'être aimable. Elle rit, plutôt attendrie de cette vision et tapote doucement son ventre arrondi de neuf mois. 

- Mais c'est ce que je fais, je veille sur ton bébé je te rappelle, sans moi pouf ! Pas d'enfant. 

- Ouais bah il n'y aurait pas non plus de berceau à monter, rétorqué-je en plaçant une vis dans le trou correspondant. 

    Elle rigole et disparaît dans le salon en lançant : 

- Tu es un super bricoleur Marc ! 

- Fais gaffe à ce que tu dis, j'ai une perceuse dans la main, réponds-je un sourire aux lèvres 

    Liam rit doucement et nous continuons ainsi nos travaux, vingt minutes plus tard, le berceau paraît tenir debout mais toujours aucune trace de la satanée porte de l'armoire, mon meilleur ami se gratte la nuque en inspectant les lieux : 

- Elle s'est envolée, je vois que ça. 

- Si elle a prévu de revenir ça m'arrangerait. 

    Je soupire et commence à déballer le carton du mobile, cela devrait être moins compliqué que le berceau et tout le reste. De temps en temps, Éva vient passer la tête à travers la porte et s'amuse quelques instants avec nous, ou plutôt se moque avant de disparaître à nouveau dans le salon, occupée à faire les premières machines du linge du bébé et à les repasser pour que tout soit prêt lorsque nous cesserons de dormir, trop occupés à vouer notre vie à un petit être. J'ai beau plaisanter au sujet de tout ça, faire mine d'être déjà fatigué, je sens en moins brûler le désir de rencontrer ma fille, de la protéger et de la chérir pour toujours, je sais que quand je la tiendrai entre mes bras le sommeil ne comptera plus, ni la faim ni la soif : il n'y aura qu'elle et la femme qui l'aura mise au monde. Je ne cesse d'imaginer notre petite famille en sachant pertinemment qu'elle surpassera tous mes rêves les plus fous. 

- Bon, je vais aux toilettes je reviens, lance mon meilleur ami 

- Fais gaffe, la Méduse rode dehors, si tu as le malheur de poser les yeux sur les bodys, t'es bon pour être pétrifié, l'avertis-je en grimaçant. 

   Il s'esclaffe et hausse les sourcils en dépoussiérant ses mains sur son jean. 

- Je pense que je peux rejoindre les toilettes sans me spoiler le sexe du bébé. Vous êtes chiants aussi à vouloir le garder secret, on le saura dans une semaine. 

- C'est à tes risques et périls, dis-je en levant les mains devant moi.

    Il sort de la pièce et aussitôt la voix stridente d'Éva retentit : 

- Liam ! Si tu poses les yeux sur ne serait-ce qu'un centimètre carré de tissu, je te fais bouffer tes vis, compris ? 

    J'éclate de rire et entends mon meilleur ami presque courir pour rejoindre les toilettes. Le mobile est enfin monté et Liam revient quelques minutes plus tard l'air totalement terrifié. 

- C'est une dingue je te jure !

- Marc ! s'exclame l'intéressée 

- Tu tiens vraiment à la vie toi ? lancé-je à Liam qui hoche la tête en grimaçant 

- Ouais, on ferait mieux de se remettre au boulot. 

    J'acquiesce et avale une gorgée de ma bière avant de poser le mobile vers le berceau et attrape un balai pour nettoyer un peu le parquet jonché de morceaux de carton et de poussière et rassemble tout ça en un petit tas dans un coin. Je regarde la pièce, les mains sur les hanches, finalement content de l'avancée, cela devrait être fini demain sans doute. La plupart des meubles ont été montés et il n'est pas nécessaire de déballer les accessoires. Je m'accroupis pour aider Liam à terminer de monter le rocking-chair en bois avec une assise en daim couleur bleu ciel qui accueillera nos corps plombés par le sommeil quand il faudra calmer la petite ou lui donner à manger. 

- Vous avez choisi le prénom ? questionne soudain Liam 

    Je lui lance un regard en haussant un sourcil, nullement dupe. 

- Éva est censée accoucher dans une semaine, encore heureux qu'on ait le prénom et puis n'essaye même pas de me le faire avouer, c'est pas la peine. Ma sœur me travaille déjà assez au corps comme ça. 

- Elle ne lâche pas hein ? 

- Oh que non ! m'exclamé-je exaspéré, c'est limite si elle ne m'harcèle pas à cause de ça. 

- Marc ! s'exclame soudain Éva 

- Ton enfant sera pourri gâter par sa tante, tu peux me croire, répond Liam 

- Ouais, c'est certain. Qu'est-ce qu'il y a ? lancé-je à l'intention d'Éva 

- Marc ! répété-t-elle 

    Liam lâche un "ouh" théâtral et j'éclate de rire en me redressant. 

- Fais gaffe qu'elle ne te transforme pas en statue de pierre, rigole-t-il 

    Je ris à mon tour et fais mine de me couvrir les yeux comme pour me protéger. 

- Qu'est-ce qu'il y a Éva ? Tu veux encore te moquer de tes piètres bricoleurs ? demandé-je en me bandant les yeux, arrivé dans le salon. 

- Marc... 

    Sa voix n'est plus du tout rieuse mais teintée d'une angoisse qui me contamine et me fait enlever les mains de mes yeux. Le visage d'Éva est tout sauf rieur, ses traits sont tordus par la douleur et la panique, ses mains sont plaquées sur son ventre et je sens mon cœur se mettre à battre dans un rythme démesuré lorsque mes yeux tombent sur la tâche humide qui recouvre ses cuisses et le canapé. "Merde." 

Un dernier départOù les histoires vivent. Découvrez maintenant