Le Conjoint (bxb) [terminée]

6. Le lit

Je me dandine, embarrassé. 

— On devrait…, je dis en recommençant à bredouiller, on devrait aller se coucher. 

— Oui. 

Il me regarde toujours sans faire mine de bouger. Je décide de prendre l’initiative et me dirige rapidement vers la chambre. Je l’entends m'emboiter le pas. 

Mes yeux sont attirés par le lit conjugal qui me paraît soudain bien étroit. Je jette un regard intimidé à mon Conjoint. 

— Quel côté préfères-tu ? 

Il hausse les épaules. 

— Peu importe. 

Je m’assieds donc du côté de la porte. Deux habits de nuit ont été posés sur les oreillers par l’équipe de préparation des foyers. Il faudrait que je me change à nouveau, mais je me sens gêné de le faire en présence d’Adrien. Ce dernier doit le remarquer car il s’empare de ses propres habits en soupirant et c’est à son tour de disparaître dans la salle de bain. J’en profite pour me déshabiller le plus rapidement possible, me glisse dans le lit encore froid et me cache sous la couverture. 

On toque à la porte. 

— Tu… tu peux entrer, je dis avec un instant d’hésitation. 

Le battant s’ouvre. Les vêtements de nuit sont assez moulants et j’évite de regarder directement Adrien lorsqu’il pénètre dans la pièce. 

— Tu sais, remarque-t-il en s’approchant du lit, nous allons passer le reste de notre vie ensemble. Il faudra bien que nous apprenions à devenir un peu intimes. 

La panique me gagne. 

— Hm…oui…, je bredouille en disparaissant encore plus sous les draps. 

Je ne sais même pas de quoi j’ai peur exactement. Lorsqu’Adrien repousse la couverture pour s’y introduire à son tour, je me mets à trembler comme une feuille. 

Je suis allongé droit comme un I, n’osant remuer. Adrien en fait de même de son côté et je finis par me calmer un peu. Nous regardons tous les deux en direction du plafond. Je remarque que la peinture est tachée dans le coin gauche et me promets d’y mettre un coup de pinceau lorsque j’en aurai un moment. J’aime les surfaces lisses et immaculées.
 
Moins d’une minute plus tard, la lumière s’éteint automatiquement. Je garde cependant les yeux grands ouverts. Habituellement, je sombre dans le sommeil en quelques instants. Mais aujourd'hui je suis bien trop perturbé par la présence de cet autre homme à mes côtés. Il est officiellement mon Conjoint. S’attend-t-il à ce que nous… à ce que nous… À ce que nous fassions ce que les couples… ? Non. Deux mâles ne peuvent produire un enfant… Je me demande une nouvelle fois ce que le Système attend de nous… Aucune instruction particulière ne nous a été donnée à ce sujet. 

Je fais un bond en l’air lorsqu’Adrien prend à nouveau la parole. 

— Te souviens-tu de notre première rencontre ? me demande-t-il d’un ton assez doux. 

Je suis surpris par la question. J’imagine qu’il ne parle pas de la cérémonie qui vient de se dérouler. 

— Nous nous étions déjà vus auparavant ? je m’étonne. 
Nous ne sommes pas censés discuter après le couvre-feu. Mais je sais que je n’arriverai de toute façon pas à m’assoupir de sitôt. 

— Lors d’une partie de ballon, il y a quelques années de cela. Ton école était venue en visite dans la mienne. 

J’hoche la tête même si le jeune homme ne peut pas me voir. Curieusement, cela me semble plus aisé de discuter avec lui dans le noir que lorsque nous sommes à la lumière face à face. 

— Je me souviens de cette sortie. Et d’avoir joué au ballon. C’était amusant. 

— Nous nous étions affrontés, poursuit Adrien, soudain plus animé. A un moment donné, je te suis rentré dedans et nous sommes tombés sur le sol tous les deux. Tu t’es retrouvé allongé sur le dos avec mon corps écrasant le tien. C’était moi le coupable, et pourtant tu t’es excusé. 

Je fronce les sourcils, cherchant à me rappeler cet événement particulier. Cette chute a cependant entièrement disparu de ma mémoire. J’ai visité au moins une fois pour des sorties similaires presque toutes les autres cités et ces expéditions se mélangent dans mon esprit. 

— Je suis désolé, je ne m’en souviens plus… 

Mon Conjoint n’ajoute plus rien. Je me demande s’il est contrarié ou déçu et me recroqueville encore plus sur moi-même. 

Je songe à mon ancien foyer, à mes parents. Je n’ai même pas pu leur dire au-revoir. Je pensais rester dans la même cité qu’eux, mais me suis retrouvé projeté ailleurs, auprès d’un homme qui m’intimide. 

Mon ventre se creuse. Je suis soudain rempli de tristesse. Je me sens seul, malgré la présence d’Adrien. Incroyablement seul. 

Une première larme glisse silencieusement le long de ma joue, suivit par une autre. Mon oreiller est bientôt trempé. 
Je sursaute en sentant une main frôlant mon bras. Pendant quelques secondes, j’ai l’impression que mon Conjoint a remarqué mon état et cherche à me réconforter. Mais je dois me faire des idées, ou alors il ne sait pas comment s’y prendre, parce que sa main retourne le long de son corps.