12. La frontière

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Nous sortons tous les deux. Il fait beau mais assez froid et je frissonne. La main chaude d’Adrien vient envelopper la mienne. C’est la première fois qu’il agit ainsi depuis le jour de la cérémonie. Cela nous fait ressembler à un vrai couple et, après un bref moment de gêne,  je ne trouve pas cela désagréable. Les autres passants nous jettent un regard bizarre mais mon Conjoint leur jette son regard noir et ils finissent tous par détourner la tête. 

— Tu ne veux toujours pas me dire où nous allons ? je tente. 

Adrien secoue la tête avec gravité. 

— C’est une surprise. 

Je me sens excité à cette idée. Avec mes parents, nous vivions dans une routine immuable qui ne laissait nulle place à l’inconnu. 

Nous bifurquons bientôt de la route principale pour emprunter une voie secondaire. Les maisonnettes se font plus rares. Nous ne sommes bientôt plus entouré que par les vergers qui produisent les fruits dont a besoin notre cité. En cette saison, leurs branches sont nues. Les premiers bourgeons ne devraient pas tarder à apparaître. 

— C’est ici cet espace avec de la nature où tu m'emmènes ? j’essaie de deviner. 

Adrien sourit. 

— Oh non. J’ai quelque chose en tête de beaucoup mieux que quelques malheureux arbres. 

Ma curiosité est d’autant plus piquée. La voie devient une simple route en terre. Alors qu’il y avait jusqu’à présent quelques rares promeneurs, nous finissons par ne plus croiser personne. J’ai un instant d’hésitation en voyant soudain mon Conjoint quitter le chemin pour s’engager sans hésitation au milieu des arbres. Nous traversons entièrement le vergers pour gagner un espace qui n’est plus composé que d’herbes folles. 

— Ce mystérieux endroit est-il encore loin ? 

Nous marchons depuis longtemps. Je ne m’étais jamais autant éloigné du cœur d’une cité. Je ne me sens pas très rassuré. J’ai l’habitude d’être toujours entouré de monde. 

— Fatigué ? 

— Un peu… 

Mes jambes commencent à se faire lourdes. Adrien, au contraire, avance avec la même vigueur que lorsque nous avons quitté notre cellule familiale. J’ignore où il trouve toute cette énergie. La chaleur de sa main dans la mienne me donne cependant la force de continuer sans me plaindre. J’ai l’impression que je pourrais le suivre jusqu’au bout du monde, s’il me le demandait. 

Notre destination finale ne se trouve heureusement plus très loin d’ici. J’entends d’abord le bruit, un ruissellement continu d’une grande force. Puis nous tombons sur un spectacle incroyable. J’ouvre de grands yeux en contemplant la vaste étendue d’eau mouvante. Je sais par mes cours de géographie qu’il s’agit du fleuve qui borde la dixième cité. Je ne l’imaginais pas s’y large. Je croirai être face à la mer. L’autre rive n’est même pas visible. 

— C’est… c’est impressionnant, je murmure en cherchant mes mots. 

— Je me suis dit que cela te plairait. C’est l’endroit de la cité que je préfère. 

Fasciné, je me rapproche de l’eau. 

Adrien me retient par la taille. 

— Fais attention à ne pas tomber. Le courant est très fort. Il t’emporterait. 

Je m’immobilise et laisse mon dos reposer sur son torse. Il referme ses bras autour de moi et pose le menton sur mon épaule. 

— Je comprends pourquoi on raconte que c’est le bout du monde, je murmure. 

Il fait frais et je suis bien heureux d’être blotti contre mon Conjoint. 

— Ce fleuve séparait jadis deux pays, m’apprend Adrien. 

— A-t-il un nom ? 

— On l’appelait jadis le Danube. Mais plus personne ne le nomme ainsi. 

— Crois-tu que nous ayons le droit d’être là, à la frontière ? je m’inquiète. Je ne vois ici aucun autre citoyen. 

Mon Conjoint hausse les épaules. 

— Je suis souvent venu me réfugier ici. Personne ne me l’a jamais interdit. 

Nous nous asseyons serré l’un contre l’autre. Regarder le fleuve couler est apaisant. J’en profite pour poser une question qui me tourmente. Pas une seule fois depuis mon arrivée ici je n’ai vu Adrien sembler avoir des liens d’amitié avec qui que ce soit. 

— Pourquoi es-tu ainsi solitaire ? 

Il pose sa tête sur mon épaule. 

— Je ne suis plus solitaire. Tu es avec moi à présent. 

Je me sens rougir et lui saisis la main avec émotion. 

— Oui, nous sommes ensemble. 

Nos doigts s’entremêlent, se caressent. 

— Que crois-tu qu’il y a de l’autre côté ? je demande, les yeux fixés sur le fleuve.

— Une grande forêt sauvage, à ce qu’on dit. 

— Et au-delà de cette forêt ? 

— Tu es bien curieux… 

— Pas toi ? 

Adrien hausse simplement les épaules. 

Autrefois, on raconte que les êtres humains peuplaient toute la surface de la Terre. Il ne cessait de se multiplier au point d’avoir épuisé toutes les ressources naturelles. Ils vivaient dans la haine et la violence, sans Système pour les guider. Cette simple idée me fait frissonner et je caresse instinctivement le bracelet autour de mon poignet. 

Mon Conjoint soupire en observant un oiseau voler dans les airs et partir en direction de l’autre rive. 

— J’ai souvent eu envie de construire un bateau pour traverser le fleuve, m’avoue-t-il d’un ton incertain. 

Je lui jette un regard surpris. 

— Pour quelle raison ? 

— Comme cela. Pour découvrir autre chose. 

Je frissonne à nouveau. 

— L’autre côté du fleuve doit être un endroit sauvage et effrayant, je déclare avec conviction. Il doit être impossible d’y vivre. 

Adrien ne me répond rien, mais je sens ses doigts glisser des miens. Il se relève. 

— Il est temps de nous remettre en route. Nous en avons pour un certain temps.

— Tu sais, je lui dis tandis que nous marchons en sens inverse. Je crois que je suis comme tu l’as dit un jour, un homme fait pour être avec un autre homme. 

Je serre plus fort sa main dans la mienne. 

Adrien sourit. 

— Je suis ravi de l’apprendre. 

Je lui jette un regard en biais. 

— Et toi ? 

J’attends sa réponse avec une certaine inquiétude. 

Il lève les yeux au ciel et m’attire contre lui. 

— Disons que je ne suis pas mécontent d’avoir un petit Conjoint à dorloter. 

Je rosie et détourne la tête, gêné mais content. 

Lorsque nous nous mettons au lit ce soir-là, je sens les bras d’Adrien entourer ma taille. 

— Je veux m’endormir en te serrant contre moi, lance-t-il d’une voix ensommeillée. 

Je rougis, ce qu’il ne peut pas remarquer dans le noir. 

— D’accord. 

Il ne me répond rien mais se blottit encore plus près. Je me sens… je me sens bien. 

Le Conjoint (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant