La lumière du soleil s’infiltre dans la chambre dépourvue de volets, mettant en évidence le délabrement des murs et l’épaisse couche de poussière. Je jette un regard malheureux sur mes anciens vêtements de Citoyen qui ne sont plus que des loques sales et déchirées. Je n’en possède pas d’autres.
— Je ne peux pas me présenter devant tes chefs ainsi, je m’inquiète.
Adrien s’avance à mes côtés. Il n’est toujours vêtu que de son seul caleçon. Je me mords la lèvre en détournant les yeux. J’ai peur. Je suis immergé dans un territoire ennemi. Et, pourtant, j’ai terriblement envie de mon Conjoint. Je voudrais n’avoir à me soucier de rien et me contenter de l’aimer de toute mon âme.
— Je nous ai trouvé d’autres habits, ne t’inquiète pas, me dit le jeune homme en m’attirant contre lui. Contentons-nous d’enfiler les anciens le temps de nous rendre dans un point d’eau pour nous laver.
— Nous ne pouvons pas utiliser la salle de bain de notre appartement ? je m’étonne.
Adrien secoue la tête.
— Non, les logements sont dépourvus d’eau courante. Nous arrivons à avoir un peu d’électricité au moyen de panneaux solaires. Mais entretenir un réseau d’eau nécessiterait des infrastructures bien supérieures à celles que nous pouvons nous permettre.
— Oh…
Je fais la grimace, ayant encore plus envie de rentrer à la maison.
— Tu vas t’habituer à vivre ici, m’assure mon Conjoint. Tu verras, c’est beaucoup mieux que de subir le joug du Système.
Il m’adresse un sourire plein d’une assurance que je suis loin de ressentir.
L’ancienne cité qu’occupent les Anti-Civiques me paraît encore plus effrayante sous la lumière du jour. Les immenses tours sont dans un état encore pire que je ne l’avais d’abord pensé. Je regrette tant les petites maisons bien entretenues aux jardins proprets de la Décapole !
Nous trouvons l’un des points d’eau mentionné par Adrien à quelques pas de l’immeuble dans lequel nous logeons. Il ne s’agit que d’un vague bassin protégé de la rue par une simple palissade en bois. Deux personnes y sont déjà immergées, un homme et une femme, tous les deux entièrement nus. Je détourne le visage en rougissant. Les Anti-Civiques n’ont-ils donc aucune pudeur ? Comme pour m’en donner la preuve, mon Conjoint se débarrasse de ses habits à toute allure et me fait signe d’en faire de même. Je lui obéis avec réticence et le suis, à moitié caché derrière lui. L’eau est froide, presque autant que celle du lac dans lequel nous nous étions baignés l’autre jour et je me replie sur moi-même en frissonnant. Les deux Anti-Civiques tournent le visage vers nous, remarquent ma présence et sortent du bassin sans un mot.
— Ils ne m’aiment pas, je commente en me recroquevillant encore un peu plus.
— Ils n’aiment pas les Citoyens, me corrige Adrien en foudroyant du regard les fuyards. Il faudra bien qu’ils comprennent à un moment où à un autre que tu n’en es plus un.
Si du moins je n’en suis effectivement plus un… Mes anciens collègues de l'entrepôt doivent certainement le penser. Que leur a-t-on raconté après mon arrestation ? Que j’étais un Anti-Civique, moi aussi ? Rien ne saurait être moins vrai… Ces derniers ne veulent pas de moi. Malgré ce qu’essaie de me faire croire Adrien, ils me rejettent de toute leur force. Je n’ai pas ma place parmi eux. Mon Conjoint me soutient, pour le moment. Combien de temps cela durera-t-il ? Jusqu’à ce que l’Anti-Civique infiltré chez les Gardiens révèle la vérité sur moi ? Devrais-je m’enfuir ? Mais pour aller où ? La Décapole me rendra-t-elle ma place en échange du peu d’informations que j’ai récolté sur nos ennemis ?
Nous nous baissons lentement pour nous immerger dans l’eau jusqu’à la taille. Adrien me tend un morceau de savon dur comme de la pierre que je fais glisser le long de mon corps. En temps ordinaire, je ressentirai sans doute du plaisir à me débarrasser de toute la saleté accumulée pendant le voyage. Aujourd’hui je suis bien trop angoissé pour penser à autre chose qu’à ma situation périlleuse et à mon entretien à venir.
Au bout d’une minute ou deux à patauger dans l’eau froide, Adrien attrape l’une des longues serviettes qui pendent le long d’un fil et nous enveloppe tous les deux à l’intérieur. Je grelotte et me presse contre le jeune homme pour profiter de sa chaleur. La peau de mon Conjoint est toujours tiède tandis que la mienne est glaciale.
— Tu es mon radiateur, je marmonne en posant mon visage contre son torse.
Je sens sa poitrine tressauter tandis qu’Adrien rit en silence.
— Tu es d’humeur romantique, aujourd’hui, commente-t-il d’un ton amusé.
Je me serre encore plus contre lui.
— J’ai juste froid, je bougonne. Enfin, au moins nous sommes à présent à peu près propres..
Mon Conjoint me vole un baiser, de bonne humeur.
— Nous avons tout juste le temps d’aller nous trouver quelque chose à manger avant d’aller rencontrer les élus. Tiens, enfile ça.
Il me balance des vêtements qui se trouvaient soigneusement pliés au bord du bassin. Ils sont trop grands pour moi et le haut informe est d’une invraisemblable couleur orangée qui me déplaît. Adrien est pour sa part habillé en vert et gris et semble aussi à l’aise qu’avec ses anciens habits de citoyen.
— Qui sont ces élus exactement ? je demande alors que nous franchissons la palissade. S’agit-il de l’équivalent des Conseillers de chaque Cité ?
— Plus ou moins. A la différence que nous les choisissons et qu’ils n’ont pas à suivre les ordres absolus de ce tyran de Système.
Adrien prononce ce dernier mot avec sa petite moue habituelle et je ressens une bouffée d’agacement qui devient d’autant plus vive lorsque je vois la fille d’hier soir, Marthe, se diriger vers nous. Elle adresse un grand sourire à mon Conjoint en m’ignorant aussi soigneusement que si j’étais l’un de ces arbres qui poussent un peu partout au milieu des ruines.
— Salut Adrien !
Sans la moindre gêne, elle le serre dans ses bras et lui embrasse la joue. J’en reste bouche bée, scandalisé par un tel comportement. Adrien l’écarte doucement, souriant lui aussi.
— Salut Marthe. Excuse-nous, nous avons à faire. On se voit plus tard ?
Le sourire de la fille se fait encore plus étincelant.
— Pas de problème. À très vite, Adrien.
Elle s’éloigne lentement, en secouant ses cheveux bouclés.
— Je n’aime pas cette fille.
Ces mots, catégoriques, sont sortis de ma bouche sans que je cherche à les retenir.
Adrien hausse un sourcil.
— Serais-tu jaloux, petit Conjoint ?
Exaspéré, j’accélère le pas sans répondre. Je crois entendre Adrien soupirer avant qu’il viennent mêler ses doigts aux miens avec une caresse rassurante.
— Tu n’as pas à t’en faire, me murmure-t-il à l’oreille et, pendant quelques secondes, je me sens l’esprit un tout petit peu plus léger.
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Le Conjoint (bxb) [terminée]
RomantikDans un futur lointain, les êtres humains vivent sous le contrôle du Système qui dirige tous les éléments de leur vie. L'année de ses dix-huit ans, chaque citoyen est accouplé à une citoyenne. Le jour où vient son tour, Maxence se retrouve cependant...