44. L'attaque

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Le jour prévu pour ma fuite, je me rends comme d'habitude plusieurs fois au point d’eau. Les personnes présentes me regardent passer avec indifférence. Adrien n’est pas visible et je me sens malgré moi triste de ne pas avoir pu lui dire silencieusement au revoir. Mais peut-être est-ce mieux ainsi. 

Je songe à l’immense forêt à traverser et à tous les dangers qui m’attendent. Je ne sais même pas comment je pourrai franchir le fleuve, si tant est que je parvienne à l’atteindre. Mais je ne peux pas rester ici. Je n’ai pas ma place parmi les Anti-Civiques. Et je refuse de rester là à regarder Adrien se lier à cette fille et m’oublier. 

Arrivé près de la source, vers la fin de journée, je pose mon seau par terre et m’approche discrètement d’un buisson touffu. J’y sors un sac de voyage rempli de provisions que j’ai mis de côté depuis plusieurs jours. Il est à présent plein et il est inutile de perdre davantage de temps ici. 

Je soulève le sac, le calle par-dessus mon épaule et me retourne une dernière fois pour contempler les ruines. Le soir tombe et les anciens immeubles brillent d’une lueur orangée. Le spectacle est paisible. Les oiseaux chantent et un vent doux remue paresseusement les feuilles des arbres. Je suis rempli d’une triste résolution. J’ai toujours été un étranger ici. Ma place se trouve dans la Décapole. 

Après un dernier soupir, je me détourne et me mets en route à travers la forêt. Il me faut avancer le plus possible tant que je vois encore où je mets les pieds. 

"Adieu, Adrien”. 

La forêt est aussi touffue et inhospitalière que dans mes souvenirs. Je marche droit devant moi, dans la direction que j’estime être celle du fleuve. Je ne cesse cependant de faire des détours pour contourner des obstacles et le découragement me gagne bien vite. À peine parti, je suis déjà en train de me perdre… 

Je me demande quand les Anti-Civiques remarqueront ma fuite. Assez vite, je suppose, au moment de m’enfermer dans ma cellule, lorsqu’ils s’apercevront que je n’ai toujours pas apporté l’eau que j’étais allé chercher. Vont-ils me poursuivre ? Probablement. Je devrais rester sur mes gardes. S’ils me capturent à nouveau, je ne m’en tirerai probablement pas aussi bien… 

La soif me gagne après moins d’une demi heure de marche. Je pose mon sac un instant et sors l’une de mes gourdes. Je bois goulûment sans réussir à me retenir et grignote même un morceau de pain. À ce rythme là, mes provisions ne feront pas long feu… Je pourrais toujours cueillir des baies comme l’avait fait Adrien lors de notre première traversée. Je crois être en mesure de les reconnaître. 

Je m’assieds sur le sol, le dos collé contre le tronc d’un gigantesque sapin. Je ne sais même pas quelle direction suivre, à présent. La vague idée que j’avais de la position du fleuve a presque disparu. Si je n’y prends garde, je vais finir par tourner en rond et retomber sur la cité des Anti-Civiques. La luminosité décline et j’aimerais m’arrêter ici pour passer la nuit. Mais je suis encore bien trop près de la ville. Je dois m’éloigner encore davantage. Si seulement je savais vers où ! 

Désemparé, je penche la tête en arrière, songeur. L’arrière de mon crâne se cogne contre le tronc du sapin qui me sert d’appui. Et j’ai soudain une idée. Pourquoi ne grimperais-je pas dans cet arbre pour prendre de la hauteur ? J’apercevrai peut-être ainsi le fleuve ! 

Ni une, ni deux, je lève les bras et m’agrippe à une branche basse. Je tire dessus pour tester sa solidité. Des aiguilles de sapin me tombent sur la tête mais la branche tient bon. Rassuré, je me hisse jusqu’à elle et commence mon ascension. 

Il est interdit de grimper aux arbres dans la Décapole, et je n’aurais jamais eu l’idée de le faire, lorsque je vivais là-bas. Seulement, je ne suis plus tout à fait l’honnête et sage petit Citoyen que j’étais alors. Il faut croire que vivre aux côtés d’un rebelle comme Adrien a fini par me rendre audacieux. 

Le Conjoint (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant