34. La tour sombre

6.6K 619 90
                                    

Nous restons enlacés un long moment. Il fait nuit noire et la ville qu’occupe les Anti-Civiques semble dépourvue d’éclairage public. Loin des regards, je me sens à l’abri, blotti dans les bras de mon Conjoint. J’ai la sensation qu’auprès de lui rien de mal ne pourrait m’arriver. Ce qui n’est bien sûr qu’une illusion. Ici, je ne peux compter que sur moi même. Le Système n'est pas là pour me protéger et me guider. 

— Tu vas mieux ? s’inquiète tendrement Adrien. 

Il me caresse le dos. Je me détache à regret de la chaleur de son corps. 

— Oui. 

De fait, je ne tremble presque plus et semble avoir retrouvé plus ou moins l'usage de mes jambes. 

Mon Conjoint me prend par la main et penche la tête en l'air. 

— Tu vois, me dit-il, ici je vais enfin pouvoir t'emmener contempler les étoiles. Nous pourrons passer des nuits entières dehors, si nous le souhaitons. 

Je lève à mon tour les yeux vers le ciel constellé de points lumineux. Jamais je n'avais vu autant d'étoiles réunies au même endroit. Loin des lumières des Cités, la voûte céleste paraît être celle d'un autre monde. Le spectacle est si époustouflant que, l'espace d'une seconde, j'en oublie mes peurs et la situation sans issue dans laquelle je me suis moi-même placé. 

— Je te montrerai un endroit où la vue est encore plus belle un autre jour, me propose Adrien. Ce soir, trouvons simplement un endroit où nous reposer.  

J’hoche la tête et détourne non sans regret mes yeux du ciel. Je suis si épuisé que je pourrais m’endormir à l’instant, à même le sol. 

Nous errons un moment au milieu des ruines. Les immenses immeubles qui nous entourent ne sont plus que des masses sombres. Nous ne croisons que de rares Anti-Civiques qui nous dévisagent de loin. Je vois à peine où je mets les pieds et m’accroche à Adrien pour ne pas trébucher. Nous finissons par nous arrêter devant un autre feu. Une vieille femme aux vêtements criards y est assise, les yeux mi clos. Ses longs cheveux blancs flottent librement contre son dos au lieu d’être noués en un chignon strict comme le seraient ceux d’une citoyenne de son âge. Adrien vient s’accroupir à ses côtés tandis que je reste prudemment en arrière. Je les regarde échanger brièvement quelques mots que je ne comprends pas, ainsi qu’un objet. Puis mon Conjoint se relève pour me rejoindre. 

— Logement 611, nous lance la femme dans notre dos. Tu me paieras plus tard. N’oublie pas. 

Elle parle elle aussi avec cet accent rude qui mange la moitié des mots. 

Adrien hoche simplement la tête sans se retourner. Il tient à présent une lampe torche qui éclaire faiblement le sol inégal. Nous marchons encore une dizaine de minutes lorsqu’un faisceau de lumière se pointe soudain vers nous. 

— Un instant, lance une voix grave. 

Je cligne des yeux pour mieux distinguer les silhouettes qui se dressent. Un groupe de deux hommes et trois femmes s’avancent vers nous, le visage grave. J’ignore tout du fonctionnement de la société des Anti-Civiques mais, en les voyant approcher, j’obtiens la conviction que ces personnes sont l’équivalent des conseillers qui régentent la Décapole. Ils marchent avec l’assurance de ceux qui contrôlent et décident. 

Adrien se tend à mes côtés et m’attire vers lui comme il l’avait fait tout à l’heure et nous restons immobiles. 

L’une des femmes, la plus âgée du groupe, prend la tête et se dirige vers nous. 

— Adrien ? Je suis Linda, l’une des élues. J’ai suivi tes aventures de loin, lorsque tu étais infiltré. Je viens d’être informé de ton retour. 

Le Conjoint (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant