29. La forêt

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— Max ! 

Je me réveille en entendant une voix familière prononcer mon nom. Je tourne péniblement la tête, ouvre un œil et vois Adrien se précipiter vers moi. Je me lève d’un bond, revigoré. À cet instant précis, je suis si soulagé de le savoir vivant que je ne parviens pas à éprouver contre lui la moindre colère pour m’avoir trompé pendant des mois. Le jeune homme ouvre grand les bras et je viens m’y jeter éperdument. Adrien me serre contre lui si fort que j’en ai le souffle coupé. Ses vêtements, comme les miens, dégoulinent d’eau. 

— J’ai eu si peur, bredouille mon Conjoint à mon oreille. J’ai marché pendant longtemps sans t’apercevoir. J’ai cru que… Que… Quand nos mains se sont lâchées… 

Il n’achève pas sa phrase et baisse la tête pour coller son visage contre mon torse. 

— Je vais bien, je le rassure. Est-ce que nous avons réussi ?
 
Il relève le visage, plante un baiser sur ma joue et me sourit. 

— Oui. Nous avons traversé le fleuve. Regarde. 

Je me retourne. Le soleil se lève à l’horizon et commence à éclairer timidement la rive. Face au fleuve se dressent non loin de nous d’immenses arbres. Leur feuillage est si dense qu’ils semblent constituer une barrière infranchissable. 

À présent que le soulagement est passé, je me rends compte d’à quel point j’ai froid. Je tremble sans le moindre contrôle. Adrien est dans le même état que moi et frotte ses mains pour essayer de les réchauffer. Ses lèvres sont bleues. Je constate qu’il n’a pas pu sauver le sac que lui avait remis l’autre Anti-civique et qui contenait des vivres et autres éléments de survie. 

— Nous devons nous éloigner de la rive, me dit le jeune homme. J’allumerai un feu lorsque nous serons bien à l’abri des arbres. 

Je contemple la forêt avec inquiétude. Je m’étais jadis imaginé un tel endroit comme le jardin public de ma cité d’origine, en plus grand. Je constate à quel point j’avais tort. Dans le parc, chaque arbre dispose d’une place définie et de larges allées permettent aux promeneurs d’y évoluer aisément. Ici la nature a poussé dans l’anarchie la plus complète. Les troncs s’élèvent dans tous les sens et je ne vois nulle trace d’un quelconque chemin. Des buissons touffus s’étendent sur le sol et nous sommes aussitôt couverts d'égratignures lorsque nous nous mettons en route. Chaque pas est difficile et nécessite de se faufiler entre deux troncs ou d’écarter des branchages. Je suis vite épuisé. Je voudrais faire demi-tour et retourner dans notre petite cellule familiale si douillette. Mais cela impliquerait de retraverser le fleuve dans l’entre sens et cela me tente encore moins que de continuer à avancer. 

Adrien avance sans se plaindre d’un rythme rapide. Il marche en tête pour nous frayer un chemin à l’aide d’un bâton et se retourne fréquemment pour vérifier que je parviens bien à le suivre. À la lumière du jour, les marques sur son visage sont encore plus effrayantes. Des traces violacées s’étendent sur sa peau. 

— Tu ne souffres pas trop ? je m’inquiète. 

Je me sens horriblement coupable, comme si je l’avais frappé moi-même, même si le ressentiment que j’ai développé contre lui commence peu à peu à ressurgir. 

Le jeune homme hausse les épaules. 

— Le froid anesthésie toute douleur. Voyons le bon côté des choses. Hum…, nous devons à présent être assez loin. Voilà une clairière. 

Ce qu’il appelle “clairière” se révèle être un espace de quelques mètres de surface dépourvu d’arbres. En levant les yeux, je parviens enfin à voir le ciel nuageux. Le temps semble aussi mauvais de l’autre côté du fleuve… 

Le Conjoint (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant