54. La grenade

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Attention, scènes violentes

Dix minutes après le départ du premier groupe, nous nous mettons à notre tour en mouvement. Nous sommes six et je suis notamment en compagnie d’Arnaud et de Sarah. 

— Prenez l’air plus détendu et souriez à toutes les personnes que vous croisez, je leur conseille. Les Citoyens sont toujours aimables entre eux. 

Arnaud étire ses lèvres d’une façon ridicule. 

— Comme cela ? demande-t-il. J’ai l’air d’un robot ? 

Je le regarde de travers. 

— Non. 

Est-ce qu'il s’imagine vraiment que les Citoyens sont aussi niais ? Probablement. Au fond, ils le sont peut-être un peu. Et je le serais sans doute toujours aussi si je n’avais pas rencontré Adrien. 

Je me demande à quel moment j’ai cessé de me considérer comme un Citoyen ? Il y a quelque temps, je me sentais pourtant parfaitement à ma place dans la dixième Cité. J’étais heureux de faire partie d’un tout et d’être utile à mon niveau. Et j’ai continué à vouloir faire mon devoir même en suivant mon Conjoint jusqu’aux ennemis de la Décapole. 

Nous arrivons sur l’une des routes goudronnées, tout près des maisonnettes. Nous croisons les premiers Citoyens quelques minutes plus tard. Je me sens nerveux. J’espère que nous ne tomberons sur personne qui me connaissait. J’ignore la façon dont ma disparition a été justifiée. J’imagine que j’ai été présenté comme un Anti-Civique. Avec un Conjoint comme le mien, personne n’a dû être surpris. Mes parents en ont-ils été informés ? L’ont-ils cru eux aussi ? J’espère que non. Je ne voudrais pas qu’ils aient une mauvaise image de leur fils. 

Un homme et une femme nous sourient sur le chemin. Ils se tiennent par la main. Ce sont des Conjoints. Je leur rends leur sourire. Ce mouvement de la bouche me vient avec  facilité, comme si je n’étais jamais parti. Puis je me rappelle que nous risquons notre vie et mon ventre se serre douloureusement. 

— Et cet air détendu, petit Max ? me sermonne Arnaud. 

Lui-même aborde un visage dépourvu d’appréhension. Adrien doit probablement avancer de son côté avec la même assurance. Mon mari n’a jamais peur de rien. Pas comme moi qui tremble à la moindre occasion. 

J’arpente les rues de la Dixième Cité comme dans un rêve oublié. Des odeurs familières me chatouillent les narines. J’entends au loin des véhicules de transport décharger leurs marchandises. Je pourrais presque m’imaginer être de retour dans le passé. Les Anti-Civiques jettent des regards furtifs autour d’eux, lorsqu’ils pensent que personne ne les voit. Ils doivent être aussi déboussolés que moi lorsque j’ai apperçu pour la première fois les ruines dans lesquelles ils se cachent. 

— C’est ce bâtiment, dit soudain Sarah. 

Elle montre une sorte de grand rectangle un peu à l’écart de la Cité. Cette bâtisse ressemble à un simple entrepôt. Je n’aurais jamais pensé qu’une réplique du Système pourrait s’y trouver. Mais sans doute a-t-il été conçu pour rester discret. 

Nous nous y dirigeons et mon cœur se met à battre à tout allure. 

Une femme seule tient la réception lorsque nous entrons. Elle doit avoir l’âge qu’avait ma mère la dernière fois que je l’ai vue. 

— Bonjour, dit Sarah de son ton le plus poli. Nous sommes des étudiants du centre de recherches venus étudier le Système. Notre professeur a dû vous avertir de notre venue. 

La jeune fille étire les lèvres comme j’ai conseillé de le faire. Elle a l’air toute innocente, dans sa sage robe de Citoyenne. Même moi je m’y laisse presque prendre. 

Le Conjoint (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant